Le slammeur et sa langue

Le Slammeur et sa langue

Le slammeur et sa langue
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst

Le slammeur cultive pour fait de bravoure
Un rapport ambigu avec sa langue :
Tantôt Docteur Jekyll, côté amour,
Tantôt Mister Hide, en meneur de gang ;

C’est le premier pas de sa jouissance :
Il s’la mouline comme on mâche la coca
Sept fois et même plus dans une mystique transe
Pour en soutirer la sève, le substrat ;

Ensuite, il s’la musarde aux quatre coins
De ses méninges en surchauffe qui scintillent ;
Souvent, il s’la martyrise, galérien,
Aux écueils tranchants balisant sa vie ;

Sa douleur est sa muse inspiratrice :
Il s’la musèle et s’la censure rarement ;
Parfois il s’la murmure dans des prémices,
Mais, diable, il s’la matraque le plus souvent ;

Sa langue, il s’la martèle au marteau-pic
Pour enfoncer les clous qu’il exacerbe ;
Sa langue, il s’la masturbe, vipère-aspic,
En onaniste halluciné du verbe ;

Il s’la métisse aux tresses frôlant cambrure
Des cultures bigarrées, patchwork d’épices ;
Sa langue, il s’la mûrit, il s’la mature
Dans les marchés où ça sent la mélisse ;

Ainsi qu’un magicien explorateur
Il s’la maraude du côté bas-quartiers ;
Des mots, c’est un prestidigitateur
Qui fait rimer les vers du monde entier ;

Il s’la maquignonne, il s’la mâtine
Aux univers de rencontre et d’accents ;
Il s’la mitonne feu doux, il s’la marine
Dans une décoction d’ail et de piment ;

Il s’la macère comme un philtre vengeur
Dans une saumure qui lui promet l’acide ;
En bref, il s’la marie pour le meilleur
Et surtout pour le pire, souffle qui le guide ;

Quand il s’la modernise, notre slammeur
Fait du slam virtuel sur internet :
Il fait de l’e-slam ! Islam ? Y’a erreur ?
Non : le slammeur parle la langue des prophètes ;

Ayant puisé le suc de ces racines,
Son élocution, il s’la mobilise :
Sa parole dès lors se fait assassine
Et sa belle diction, il s’la mondialise ;

Lors, le slammeur attaque dans un vacarme :
Sa douce mélopée maternelle native,
Il s’la muscle pour qu’elle devienne une arme,
Orale, une arme de subversion massive ;

Sa langue, il va s’la métamorphoser
En mitrailleuse à mots, phrases assassines,
En bombes incendiaires qu’il va déposer
Chez les nantis nappés de zibeline ;

La bonne convenance dont, hautains, ils se saoulent,
Il s’la massacre avec délectation ;
La langue de bois nichée dans leurs culs-de-poule,
Il s’la mange goulûment jusqu’au trognon ;

La bonne conscience qu’ils affichent, prétentieux,
Il s’la maltraite d’une sadique volupté ;
La suffisance qui leur occulte les yeux,
Il s’la malmène comme on secoue le prunier ;

Le slammeur jamais n’omet sa révolte :
Il aime plus que tout s’la manifester,
Sa gueulante rageuse à trois-cent-mille volts,
Et s’la mugir au front des beaux quartiers ;

Sa révolte, la fibre qui tresse ses jours,
Il s’la mutine face au pouvoir des Grands ;
Et sa haine, poignant envers de l’amour,
Il s’la méprise à la face des puissants ;

Puis, quand il a trop gueulé, le slammeur
S’en va rejoindre sa belle qui espère ;
Sa langue épuisée reprend des couleurs,
Redevient organe de sens et de chair ;

Sa langue, il s’la miaule en chat de gouttière
Du côté de sa minette, au creux de sa brune,
Comme un matou qui hurle à la lumière
Quand il s’lamente et s’morfond sous la lune ;

Il s’la minaude en amoureux transi :
Sa promise, il la déguste et l’explore ;
C’est sa planche de salut, son seul sursis,
Qui lui dit : « plutôt la vie que la mort » ;

Sa langue, il s’la marivaude « volle jazz »
(Là) Où l’orchidée cache ses secrets pétales ;
Il s’la mélange, pour une divine extase,
Aux sucs amis des muqueuses animales ;

Il s’la mijote pour un ultime espoir
Aux cavernes sacrées qui enfin explosent ;
Sa douleur qui s’évapore et se barre,
Il s’l’amnistie dans le coeur qui implose ;

Sa belle, il s’l’amourache à la folie,
Unique île de beauté dans le désert
Qu’est sa vie, même si âprement sa vie,
Il s’l’amoche lui-même, Sisyphe pervers ;

Oui, le slammeur prospecte et revisite
L’arc-en-ciel ébréché des émotions :
Il creuse où ça fait mal, où ça palpite,
Où ça fait peur, et c’est tellement bon !

Par les vitraux diaprés de sa douleur,
Il ranime la poésie qui enflamme
Ce XXIème siècle sans couleurs :
Le slammeur, c’est quelqu’un qui fait du slâme.