Sagrada Familia

Sagrada Familia

Sagrada Familia
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst

Je digérais encore ma dernière bonne soeur
Moi, des sectes de tout poils l’aveugle pourfendeur
Devant l’Eternel, devant Dieu en quelque sorte ;
Moi, le fils de républicains guillotineurs,
Graine de paysans pilleurs d’églises avant l’heure,
J’en aurais bien passé d’autres par la manière forte
Si un Ciel fort mal inspiré, de piètre humeur
N’avait cru bon pour me bousculer côté coeur
D’éprouver ma foi ou son contraire, peu importe.

Or donc, je portais ma vie et ses trente-cinq ans
Comme une croix qu’alourdit d’années le fil du temps
Au centre perpendiculaire de Barcelone
Où chaque carrefour, où chaque croisement
Offre au regard horizontal du pénitent
Un crucifix qu’embrasse de pas la foule piétonne.
Je cherchais, disais-je, un tombeau en Orient
A condamner une bonne foi, si l’on me comprend,
Une bonne foi pour toutes, à clore à jamais en somme.

Au détour de cette traversée du désert
Je rencontrai la façade sans rien derrière
D’une basilique qui s’attarde à naître.
Je reconnus la densité particulière
Du vide que dissimule de pareille manière
La terre de chrétienté où je croyais bien être.
«Sainte Famille» : l’édifice portait un nom fier…
Sacrée famille, en effet, pleine de courants d’air
Qui, deux mille ans après fouettent encore la planète.

Recherchant pour mon tiers de siècle à m’élever,
J’entrepris alors d’investir par l’escalier,
De l’intérieur, le boyau aveugle de la bête.
Le colimaçon, par hasard ou volonté ?,
Rabotait sa largeur au cours de la montée
Comme la foule qui fond quand la foi au doute se prête.
Je gagnai ces altitudes où le vertige naît
Désirable et métissé de promiscuité,
Saoulant d’ivresse ambiguë la ferveur athlète.

Car, près du sommet, je croisai à la descente
Une ombre dont la main, dans l’obscurité décente,
Moula sa cambrure à mes Lunes et leurs quartiers ;
D’une voix de confession, chuchotée, tremblante,
L’ombre avoua être catholique pratiquante
Et vouloir approcher Dieu par sa face cachée ;
Certain d’accomplir là une mission importante,
Impatient d’éveiller une vocation brûlante,
Lui fis, du mystère de la Foi, un condensé.

Le chemin est court de la religion au pieu ;
Il vaut mieux s’adresser à ses seins qu’au bon Dieu…
Je m’y plongeai, mêlant passion et charité.
Si les voies du Seigneur sont impénétrables, peu
Semblables sont les siennes, dont le velours moelleux
Noua d’apesanteur nos centres de gravité.
Ceci est ton corps ; quant à l’âme, voyons, bon dieu !
Dis-je en l’emmenant tutoyer les anges malicieux
Avec la cité catalane pour oreiller.

Bref, je n’aurais volontiers eu Dieu que pour elle ;
Cette cathédrale, qui lie le sacré au charnel
M’aurait bien définitivement converti
Si, gagnant le port de la ville-caravelle,
Mon coeur n’avait, dans son errance habituelle,
Buté sur le cadavre encore vivant d’une fille
Qui implore, de ses yeux d’héroïne aux prunelles,
La chaleur d’un lit, d’un amour vrai, bien réel,
Ultime rejeton cru de cette sacrée famille.

Alors, dans une rage mêlée de désespoir,
Je remis le pied dans le cours de mon histoire
Et réaffutai mes canines sur leurs gencives :
Bouffeur de curés je suis, plantant des mâchoires
Sans nulle relâche, à m’en faire péter la bouilloire
Et même s’il le fallait jusqu’à ce que mort s’ensuive ;
Qu’on me donne un Christ à fixer à mon armoire
Comme les chouettes qu’on clouait jadis dans l’espoir
D’éloigner les esprits malins, les invectives.