Le dernier café
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst
Ils ont commencé sur la pointe des pieds
Tout simplement sans qu’on s’en rende compte ;
Leurs lois, en douce ils les ont fait voter
Dans un consensus qu’un silence surmonte ;
Impériosité ainsi qu’évidence
Furent les leitmotivs de leurs plaidoyers ;
Ils ont rajouté qu’il y avait urgence ;
(Et) comme c’était pour notre sécurité :
Ils nous ont demandé de renoncer
À une petite part de notre liberté ;
Cette dictature qui ne dit pas son nom,
Cette tyrannie sous un masque démocrate,
S’infiltra comme la mérule dans une maison,
Comme une gangrène qui te rongerait les pattes ;
Ils ont dit que la paix était précaire,
Que nous étions maintenant tous menacés,
Comme ils disent chaque fois qu’ils préparent la guerre
Au nom de notre sécurité ;
Ils nous ont convaincus de renoncer
À encore un peu plus de liberté ;
D’abord ils ont ciblé les aéroports,
S’en sont pris aux avions puis aux bateaux ;
Ensuite s’attaquèrent à tous les transports,
Les trains, les autobus et les métros ;
Partout il fallait montrer patte blanche,
Aux museaux des chiens spécialement dressés,
Aux rayons-X qui nous scannaient en tranches ;
(Mais) comme c’était pour notre sécurité :
Il nous a fallu renoncer bientôt
À pouvoir bourlinguer incognito ;
Ils continuèrent par les lieux publics,
Plantèrent des caméras dans tous les coins,
Des ouvre-portes, des barrières, des portiques,
Des pass, des badges, des codes et des gardiens ;
Partout où flânait notre nonchalance,
Dans la rue, les boutiques, les cafés,
Ils en mirent jusque dans les lieux d’aisance !
(Mais) comme c’était pour notre sécurité :
Ils nous ont suggéré de renoncer
À nos dernières parcelles d’intimité ;
Cela a pris des allures d’obsession,
Leur manie, ils nous l’ont contaminée ;
Tout pouvant faire l’objet d’une intrusion,
Tout, dès lors, devait être surveillé ;
Les portes, les fenêtres, les autos, les garages,
Il valait beaucoup mieux les protéger ;
Capteurs, détecteurs, alarmes et blindages
(Mais) comme c’était pour notre sécurité :
Ils nous ont incités à renoncer
À ne pas vivre comme des assiégés ;
Enfin, jusqu’aux limites du supportable
Ils ont semé partout les micropuces :
Dans les ordinateurs, dans les portables,
Se cache une armée d’espions, de virus ;
Dorénavant, tout aux cartes magnétiques :
Crédit, santé, achats, identité ;
Ils disaient que ce serait plus pratique
(Et) que c’était pour notre sécurité ;
Ils nous ont fait renoncer cette fois
À nos derniers espaces d’anonymat ;
Désormais, ils peuvent tout savoir de nous :
Dans quel lieu nous sommes, qui nous fréquentons,
Nos lectures, quels intérêts nous engouent,
Ils savent à peu près ce que nous faisons ;
Ils peuvent nous pister, nous suivre à la trace,
Découvrir pour qui nous avons voté,
Savoir si nous représentons une menace
Car en fait c’est pour leur sécurité
Qu’ils nous prient d’accepter à contrecoeur
Le contrôle permanent de Big Brother ;
Ne soyons pas naïfs ni ingénus ;
S’ils ont l’occasion, ils iront plus loin :
Sur le modèle des bracelets pour détenus,
Pourquoi ne pas pucer tout un chacun ?
Pour en finir avec la délinquance,
Il suffirait, préventivement, de greffer,
D’implanter des mouchards à la naissance !
Comme ce serait pour notre sécurité,
Il ne nous resterait plus qu’à renoncer
À tout ce qui fait notre humanité ;
Dans ses extrêmes le tout-sécuritaire
Est une maladie et elle porte un nom :
C’est un délire paranoïaque pervers
Qui se soigne comme n’importe quelle affection ;
Mais je crains que pour quelque gouvernant
Il s’agisse d’une tactique préméditée
Instiguée par les forces de l’argent
Et qui sous prétexte de sécurité
Nous réduise en douceur à l’esclavage,
Fasse de nous des automates, des otages ;
Pour fin, voyez le triste ridicule
Dont se couvrent ceux que ce mal affecte ;
Par pitié pour ce crétin majuscule,
Je tais le nom du musée qu’il infecte ;
Il a décrété qu’y soient interdits
Micro-ondes, frigos, réchauds et cafetières !
Pourquoi ? Par peur morbide des courts-circuits !
Mais comme c’est pour la cause sécuritaire
Il voudrait qu’on renonce au petit coin
Où, entre collègues devenus copains,
On partage encore quelque humanité,
Une île dans le tout-informatisé ;
Alors avec Muriel au Mazagran,
Et Odette qui a fraudé le Kitalé,
On a trinqué à la vie qui fout le camp,
Bu à petites lampées… le dernier café…