Entre chiens et loups

Entre Chiens et Loups

Entre chiens et loups
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst

C’était en ces temps anciens, ténébreux, glaciaires,
Où l’Homme ne sévissait pas encore sur la terre ;
On ne trouvait sur les arpents de la planète
Que des animaux sauvages affamés, des bêtes
Plus ou moins ennemies, plus ou moins concurrentes,
Qui ne connaissaient dans le chaos, la tourmente,
Qu’une loi unique pour survivre encore et encore :
La loi universelle, oui, la loi du plus fort ;

C’était l’aurore du monde, l’aube du temps, des trois coups,
Une vraie jungle où l’on s’observe entre chiens et loups ;

Or dans ces contrées hostiles où la violence
Trônait pour seul commandement, pour seule référence,
Deux hordes adversaires, rivales bien que cousines,
S’étaient partagé les moutons pour la famine ;
Elles avaient conclu un accord à l’amiable
Pour se protéger des conflits interminables ;
Chiens et loups, c’est bien leur histoire qui se profile,
Vivaient ainsi dans un équilibre fragile ;

Car tel était leur pacte scellé peu ou prou,
Traité de non-agression entre chiens et loups ;

Mais voilà qu’au fil insensible des années
La troupe des loups avec constance s’agrandit ;
Un vent d’angoisse souffle sur les fiers canidés :
Bientôt manquera la chair tendre des brebis…
On tient conseil, moult palabres, on se questionne :
Et si l’on demandait aux chiens de la viande fraîche ?
Quoi de plus logique, disent-ils, qu’ils nous en donnent ?
Mais les cousins ont répondu « non » d’une voix sèche.

À présent d’étranges débats agitent et secouent
La meute qui se réunit entre chiens et loups ;

Le chef avance, qui de loin est le plus malin ;
On voit à ses yeux brillants qu’il a une idée :
« Aucune générosité ne viendra des chiens ;
Les agneaux, de force il nous faudra les gagner ;
Mais user de la force exige quelque argument,
Une raison, j’ai presque envie de dire un prétexte,
Irrésistible et indiscutable, évident,
Au point que nulle autre tribu ne nous conteste ;

Et l’on voit des ombres qui, en silence, trouent
Le soir qui lentement s’éteint entre chiens et loups ;

Un émissaire secret a été envoyé
Auprès d’un chien perfide, une graine de renégat,
Un traître à sa propre race qu’il a désertée,
Un genre Judas, parjure et sournois, un chien, quoi !
Il est de cette engeance qu’excite la trahison ;
Il est de tous les coups tordus, tous les coups bas,
Allié depuis toujours autant que félon
Aux loups qu’il sert sans faille pourvu qu’ils le soudoient ;

Et voici que de bien étranges contrats se nouent
Dans la plus grande discrétion, entre chiens et loups ;

Au fourbe l’émissaire s’adresse en ces mots crus :
« Par une nuit sans lune, sous un ciel sans lueur,
Tu viendras enlever deux des louveteaux que tu
Estimeras les plus beaux, les plus prometteurs ;
Rapidement tu les égorges sans pitié ;
Fais comme tu veux mais arrange-toi pour qu’on retrouve
Sans trop tarder les corps sans vie et mutilés
Et puis sauve-toi, disparais, nous on te couvre » ;

Tels sont, en quelques phrases, les termes du plan fou
Que loin des regards on signe entre chiens et loups ;

On a fait comme on a dit, tué l’innocence ;
Quand sont découverts les deux museaux sans haleine
Chez les loups explose l’écoeurement, on crie vengeance ;
On se montre indigné, choqué par tant de haine ;
Très vite pointent les refrains guerriers sous le courroux :
Il ne serait que justice, rien n’est plus normal
Que d’anéantir la racaille et les voyous,
Tels des croisés avant la lettre trancher l’axe du Mal ;

Pour de bien curieuses rhétoriques on s’engoue
Et l’on attise la méfiance entre chiens et loups ;

Le dernier acte de la pièce est prévisible :
Auréolés de tout ce bon droit qu’ils cultivent,
Qu’ils s’accordent à eux-mêmes, de ce bon droit terrible,
Les loups préparent une expédition punitive.
Soutenus du silence complice, de l’émoi feint
Des autres animaux qui craignent les canines,
Ils envahissent tout le territoire des chiens,
En tuent beaucoup – et s’emparent de la manne ovine.

C’est ainsi que l’Histoire fixe ses rendez-vous,
Qu’elle se fait, qu’elle se raconte entre chiens et loups ;

La morale de ce conte aux relents aigres-doux
– Mais est-ce vraiment à la morale qu’on a affaire ? –
C’est que s’il existe des hordes de voyous
On trouve aussi, hélas, des hordes de gangsters ;
Et ce sont ces dernières qui édictent la Loi,
Qui définissent ce qu’est le Bien, ce qu’est le Mal,
Rendent ce qu’ils nomment Justice et déterminent le Droit
Pour régner à tout prix sur la gent animale ;

Espérons que jamais les Hommes, friands de jougs
N’useront des moeurs à la mode entre chiens et loups.