Le chevalier à la rose

Le Chevalier à la Rose

Le chevalier à la rose
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst
À Paule, la sorcière de la chanson, qui inspira ce conte ;
à Ariane, qui réalisa la prophétie.

On connaît de l’Espagne bien sûr les taureaux ;
Ne parlons pas des sardanes, des fandangos ;
Nous ne reviendrons pas plus sur le flamenco
Ni sur les mirages qui poussent au pied des châteaux ;

Tendez l’oreille plutôt pour l’histoire singulière
De ce Roi malheureux comme un jour sans lumière :
Aucune idylle ne fait se fermer sa paupière,
Chevalier à la Rose est son nom, sa bannière ;

Ça fait des années qu’il court à bride abattue
Les quatre coins de son royaume, à perte de vue ;
« J’aime la Femme sous tous ses visages, ses attributs »,
C’est avec ce curieux adage qu’il cherche l’élue ;

À chaque village qu’il traverse, qu’il atteint,
La même liesse, les mêmes cris, les mêmes festins ;
On l’acclame, on le dit libre comme le Khamsin,
Sans chaîne à son pied, libertaire et libertin ;

Et tandis qu’il cravache son cheval qui a soif,
Étriqué dedans son armure, son bathyscaphe,
Une solitude peu à peu l’enferme, l’agrafe :
Il étouffe malgré que le vent partout décoiffe ;

Alors toujours plus loin, toujours plus vite il file !
Il court après quoi ? La vérité c’est bien qu’il
N’aime que lui au travers des fugaces idylles
« Et je m’aime si mal, finalement » se dit-il ;

Mais un jour où son cheval, brûlé, n’en peut plus,
S’écroule d’un bloc à la margelle d’un puits perdu,
Le Chevalier tombe la cuirasse par-dessus
Et s’assied pour soutirer de la terre le jus ;

Il boit l’étrangeté de sa condition,
Pensif, son regard noir perforant les limons,
Lorsque, sans prévenir, une vieille femme apparaît d’on
Ne sait où, qui n’y était pas l’instant d’amont ;

C’est une sorcière de rides, de potions, de balais,
Qui joue de sortilèges plus ou moins bons ou mauvais ;
Elle a un âge d’arbre, si ce n’est de galet,
Elle a toujours vécu, elle ne mourra jamais ;

Intrigué, séduit par cette rencontre curieuse
Le Chevalier sent en lui une pulsion furieuse :
Il lui faut se confier à la femme mystérieuse !
Voici les mots de sa confession hasardeuse :

Il dit : « Tant de femmes m’ont appelé « mon amour »,
Mais d’amour je n’en ai point, elles tournent court ;
Croyant goûter le meilleur de leur corps velours
Je n’ai que le fiel moqueur le la Mort toujours ;

À chaque jour me suffit sa peine, son mouron ;
Chaque jour il me faut oublier un prénom ;
C’est pas l’amour à boire, il y a pire punition,
Mais, vois-tu, j’y perds autant que j’y gagne, au fond ;

Je suis devenu un trafiquant d’âmes aigri,
Un braqueur de coeurs, un pirate de bas résille ;
Mon avenir en lettres de cendres s’écrit :
Je finirai seul et mort, vieux et sec… d’ennui » ;

La vieille a tout écouté sans battre des cils ;
Elle lui souffle : « je sais ta douleur et ton gril ;
Moi que le temps fit laide, éconduite et sénile,
J’ai le sésame qui t’épargnera le péril » ;

Sur ces mots, elle tire des replis de son giron
Une rose qui n’y était pas l’instant d’amont ;
« C’est une rose magique, que je t’offre des tréfonds,
De ces déserts dont personne ne connaît le nom ;

Suis son enseignement et elle te guidera ;
Apprends la douceur, la lenteur : elle fleurira ;
Sois infidèle à l’Homme en toi : elle fanera » ;
À ces mots, dans un pli du Temps la femme s’en va ;

Le Chevalier abandonne à jamais l’armure ;
Dans les bourgs qu’il traverse maintenant à douce allure,
On l’accueille simplement, on lui parle, on murmure ;
Pour une fois, un sommeil paisible le rassure ;

Une année a passé ; le chevalier errant
De son royaume a parcouru les quatre vents ;
Il a exploré ses territoires du dedans
Et rentre au château, la paix en lui droit devant ;

Il plonge la rose dans le vase le plus fin
Parmi les tapisseries et les tableaux anciens ;
Il veut que la fleur surgie du néant, du rien,
Accompagne encore la marche de son destin ;

Mais voilà qu’on frappe à la porte du château :
Une femme jeune, belle et tranquille apparaît bientôt ;
Ses traits semblent presque familiers au hobereau
Qui sent son coeur battre comme jamais tout de go ;

Au salon où la rose trône parmi les ors
Il veut la présenter à l’oracle qui dort ;
Mais la fleur a suivi un chemin de bâbord :
L’instant d’amont, pardi, elle y était encore…