Le gentil P’tit loup et les trois cochonnettes

Le gentil p’tit loup et les trois cochonettes

Le gentil P’tit loup et les trois cochonnettes
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Didier vander Vorst

Nous connaissons tous l’histoire magnifique
Du Grand-Méchant Loup, des trois p’tits cochons ;
La paille, le bois et finalement la brique
Qui tint à l’écart les crocs furibonds ;

Nous avons tous frémi et tous tremblé
Pour Nif-Nif, Naf-Naf, les deux inconscients ;
Nous avons béni Nouf-Nouf, plus futé
Qui sauva ses frères des lupins Autans ;

Rassurés que restent vivants les gorets,
Réjouis de l’échec cinglant du loup,
Une question pourtant surgit, apparaît :
Mais d’où peut provenir un tel courroux ?

Pourquoi tant de rage, pourquoi tant de haine ?
Que justifie ces instincts carnivores ?
Qu’est-ce qui anime ce loup comme la Géhenne
Et le pousse à choisir le camp de la Mort ?

C’est à cette question jamais posée
Que je tiens à répondre maintenant :
Non, l’animal n’a pas toujours été
Le monstre qu’on sait, le vil, le méchant ;

S’il est devenu bête détestable,
C’est peut-être parce qu’il a trop souffert ;
Permettez que je vous narre l’ineffable,
Que je vous raconte quelle fut sa galère ;

Il y a trois tiers égaux dedans son coeur
Qui s’éveille aux sortilèges de la vie ;
Il gage que l’amour viendra à son heure
Eveiller en lui lumière et génie ;
Voici donc l’histoire terrible, le malheur
D’un loupiot naïf au pays des truies ;

Il était une fois un gentil p’tit loup,
Innocent comme l’agneau, comme l’alouette ;
Sur sa route encore si fraîche, tout à coup,
Apparaissent les yeux d’une cochonnette ;

Elle lui dit, et il croit à un bon sort :
« Approche un peu ici, que j’incendie
Les braises toujours endormies de ton corps ;
Il y a du miel sur ma peau de paradis » ;

Il voit en elle comme une poule aux yeux d’or :
Ils vont se goûter l’un l’autre, quelle aubaine !
Lors, il s’enchaîne volontaire à son corps
Comme le mât de proue à sa sirène ;

Il apprend la perdition, la p’tite mort,
L’effondrement où l’on se meurt enfin ;
Elle lui enseigne le café de l’aurore,
Aussi noir qu’est blanche la soie de son sein ;

Mais cependant qu’il commence à y croire
Elle lance : « Nous deux n’est qu’une mésaventure ;
Désolée, vraiment, de te décevoir :
Ce que tu nommes amour n’est qu’une imposture ;

Amour mineur prend un « a » minuscule
Et ne mérite pas le moindre débat ;
Je te laisse, déjà point le crépuscule »
Le p’tit loup ne sait toujours pas pourquoi ;

Un bon tiers de son coeur est ravagé
Mais qu’à cela ne tienne : on sourit à la vie !
Il conserve une place pour l’inespéré
Dans le désespoir qui le circonscrit ;
Il gage que la prochaine idylle nacrée
Lui rendra paix, fortune et harmonie ;

La voilà qui arrive, jupon au vent !
Celle qui apaisera les affres du doute :
Une cochonnette qui serine suavement :
« Joins le futile à l’agréable, en route !

Tu sais, l’Homme apprend bien l’Homme par la Femme ;
Je t’enseignerai ta nature réelle ;
Viens, que je glisse entre tes lèvres en flammes
Le dard savant de ma langue maternelle ;

Que j’enveloppe dans un amoureux étau
Tes peurs d’une ceinture de sécurité » ;
Il n’a rien dit mais sur lui le lasso
De ses volutes de cigarette s’est serré ;

Pour ouvrir le coeur de la cochonnette
Il faut frapper seulement de trois baisers ;
Mais y rester exige plus de galette :
Le petit loup commence bientôt à payer ;

« Ben quoi ? Ne l’avais-tu pas désiré,
Ce bel autel avec vue sur la mère ? »
P’tit loup sent monter en lui la nausée
Il est atteint d’un genre de mal de mère…

On ne sait jamais vraiment pourquoi on aime,
On sait toujours pourquoi on n’aime plus :
Vivre à la mère devient vite le problème
De qui garde les amarres in rompues ;

Deux bons tiers de son coeur sont ravagés
Mais qu’à cela ne tienne : on sourit à la vie !
Il conserve une place pour l’inespéré
Dans le désespoir qui le circonscrit ;
Il gage que la prochaine idylle nacrée
Lui rendra paix, fortune et harmonie ;

En effet sur les fuites de sa route
Apparaît celle qui dissipera ses doutes :
Une troisième cochonnette qui lui assure :
« On réconcilie nos communes blessures ;

Approche, qu’on panse nos cicatrices d’enfance !
Je suis Venus, avec sa traîne d’étoiles,
Répare en moi quelques siècles d’errance,
Viens donc t’aventurer dedans ma toile » ;

Un astre scintilla au firmament
De leurs insomnies blanches de frais amants ;
Mais il apparut, évidence glaciaire,
Que c’était l’éclat d’une étoile polaire ;

Elle déployait d’amples mouvements des bras
Pour l’inviter encore à son sabbat ;
Mais que n’a-t-il vu aux gestes de fauche
La Camarde et le Destin qui chevauchent ?

Elle avait un fessier d’Académie
Qu’il redessinait de baisers fougueux ;
Mais pour cela il y avait un prix :
Être seule maîtresse à bord après Dieu !

Absolue maîtresse ? Que demandez-vous là ?
P’tit loup qui avoue des fractures à l’âme
Redoute le chemin de roses des diktats
Mais elle lui refuse le temps qu’il réclame ;

Les trois tiers de son coeur sont ravagés :
Cette fois il n’est plus question d’utopie,
De rêves naïfs, de magnanimité :
P’tit loup accouche d’une colère inouïe,
Une haine pour la traîtrise répétée
Et la noire cécité des coeurs meurtris ;

La suite, on ne la connaît que trop bien :
Petit loup est habité par la rage ;
Il conçoit embuscades et coups de mains,
Trouve une forme de bonheur dans le carnage ;

C’est décidé : il hait l’engeance porcine ;
Massacrer est son mot d’ordre, son chemin ;
Il boit son oxygène, sa cocaïne
Dans le sang qu’il répand au quotidien ;

Rien n’est plus douloureux que le rejet
Son coeur qui s’assèche martèle cette sentence ;
La douleur qui l’enserre dans un corset
Il la traite par pire encore : la vengeance ;

Il se perd dans une spirale infernale,
Le meurtre se mue lentement en instinct ;
La pulsion qui échappe à toute morale
Fait de lui le sbire d’un pouvoir malin ;

Quand à l’occasion lui vient un regret,
De sa souffrance il reste prisonnier :
L’amour rêvé s’enfuit comme un furet,
C’est toujours le même refrain qu’ il s’entend freudonner ;

Il n’y a plus de coeur dans le p’tit loup,
Plus de joie, de lumière, d’innocence ;
L’enfance est anéantie sous les coups
De butoir de la terrible démence ;

Maint’nant il sera le Grand-Méchant Loup,
Celui qu’on craint, celui qu’on hait, qu’on fuit ;
Grand-Méchant Loup… ou bien… Grand-Méjean-loup…
Grand-Méjean-loup… ou Jean-Loup… JeanLouis.