La petite sœur des mourants

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La petite sœur des mourants
Auteur : Jean-Louis Aisse
Arrangeur : Jean-Didier vander Vorst
Compositeur: Jean-Louis Aisse

C’était une croyante extrême
Qui avait promis de vouer
Sa vie à une mission suprême
Pour secourir l’humanité;
Comme elle était plutôt bien faite,
Que du langage fruité du corps
Elle connaissait les clauses secrètes,
Et qu’elle voulait défier la Mort:
Elle dit: c’est ma vocation,
Un dévouement que sert un don,
Je me ferai nonne des mourants,
Nonne des mourants.

Je donnerai, se jura-t’elle,
A ceux qui s’en vont trépasser,
Un dernier voyage d’étincelles,
Une ultime heure de volupté;
Des fois que de l’autre côté,
Sur l’autre rive du fleuve fatal,
On ne soit à jamais condamné
A renoncer aux Bacchanales;
Leur ferai pour la pierre tombale
Une euthanasie cinq étoiles,
Un coup de l’étrier maison,
De l’étrier maison.

Et voilà la brave petite Soeur
Qui court de la terre les quatre coins
Partout, à peu près, où l’on meurt
Où l’on agonise, on s’éteint;
Que ce soit de peur ou d’oubli,
De paresse ou d’épuisement,
D’amour, de haine, de jalousie,
De rage, de rire, de honte, d’argent;
Elle chevauchait de toute sa foi
Dans un galop vers l’au-delà
Les bienheureux de l’arme à gauche,
De l’arme à gauche.

Mais au bout d’une si belle carrière
Que le mal avait désertée,
Celle qui donnait à sa manière
Un genre d’extrême-onction sucrée
Se vit invitée à son tour
Par un index recroquevillé
A visiter les champs d’amour
D’une main divine là-haut semés;
Sentant son ultime heure venir
Elle demanda dans un soupir
Qu’un prêtre vint la soulager,
Vint la soulager.

Mon Père, il faut que je vous dise,
Avant d’aller saluer Dieu,
Que j’ai péché par gourmandise
De la chair et de ses mille feux;
L’intention fut louable, certes,
La mission plutôt agréable,
Mais je crains fort que, pour ma perte,
Le Très-Haut, fâché, ne m’accable
Et ne m’envoie, l ’index raidi,
Sans autre forme de sursis,
Goûter aux flammes de l’enfer,
Aux flammes de l’enfer.

Or l’homme d’église qui la veillait
N’était pas né d’la dernière pluie;
Tout comme tonton Georges il avait
Un coeur où la bienveillance brille;
L’aspergeant d’une main décidée
A l’aide de son goupillon,
Version catholique éprouvée
Et phallique de la Rédemption:
Il se mit en devoir d’aimer
D’une façon des plus spontanées
Son prochain, comme il est écrit
Comme il est écrit.

Hélas lui-même était fort vieux;
L’étreinte eut raison de son coeur,
Et tout en accédant aux cieux,
La Mort le prit avec la Soeur;
Je n’ai aucun doute qu’ils fileront
Tous les deux droit au paradis
Car Dieu, en fait, est sage et bon
Il sait reconnaître ses brebis;
Et je suis sûr, c’est ma morale,
Qu’ils vivront au sein des étoiles
Une authentique et douce idylle,
Belle et douce idylle.

Plantadis, dimanche 10 septembre 2000.