Le Taiyō

Ma mère était indonésienne et mon père diplomate français. Toute mon enfance, j’ai entendu Maman commander une salade exotique en dessert en demandant s’il elle contenait du Taiyō. On lui répondait toujours par la négative.

À six ans, mes parents se sont séparés et mon père m’a emmené avec lui autour du monde. Je n’ai jamais revu Maman mais, comme elle, je commande toujours une salade exotique en dessert en demandant s’il elle contient du Taiyō : non, personne ne sait à quoi peut bien ressembler ce fameux Taiyō.

Un jour, ma petite amie est revenue toute fière d’un voyage au Japon avec cet innestimable Taiyō. C’est une sorte de mangue appelée aussi « œuf du soleil » qu’on ne trouve qu’à Hokkaidō.

La veille, j’avais reçu un appel d’un hôpital indonésien : ma maman avait eu un accident et ne se souvenait plus de rien.

Je suis parti la retrouver en emportant avec moi le précieux Taiyō. Elle avait tout oublié, moi et tout le reste : amnésie complète.

Pour tenter de lui faire retrouver la mémoire, j’ai découpé le Taiyō et lui en ai donné un beau gros morceau bien juteux et savoureux. Elle l’a pris avec indifférence, l’a goûté puis englouti avec délectation. Et fut victime d’un choc anaphylactique qui la tua.

Toute sa vie, elle avait évité ce fruit auquel elle était hautement allergique. Comme moi. En lui donnant la mort, j’ai sauvé la vie qu’elle m’avait donnée.

Eric Lamiroy
22 janvier 2024
(Les fruits défendus)

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