Lio : Dites au prince charmant
Communiqué de presse officiel, pour le label Recall, de l'album "Dites au prince charmant", paru en janvier 2006
J'avais quitté Lio peu après son autobiographie, "Pop Model", parue chez Flammarion au printemps 2004, dont elle m'avait gentiment confié la mise en forme. Et l'accouchement, au préalable. C'est le seul enfant de Lio que j'ai vu naître… Dans la salle de travail, je me souviens de crises de larmes (partagées). Certains souvenirs étaient trop douloureux ; d'autres suscitaient des larmes de bonheur. Et puis aussi des crises de fou rire : l'odyssée de Vanda Ribeiro de Vasconcelos est semée de rencontres hilarantes, de coups de gueules fendards, de hasards stupéfiants. Je ne connais pas d'autre star qui ait sur elle-même un regard aussi critique ; peut-être est-ce d'avoir vécu une bonne partie de son enfance et de son adolescence en Belgique qui lui a filé le virus de l'autodérision, qu'elle manipule à merveille ?
Le livre fut un best-seller. J'étais heureux pour elle : une étape essentielle venait d'être franchie. Comme elle le chante dans Vieil ami, qui ouvre son nouvel album, d'une voix qui oscille et soupire, fragile, entre mélancolie et romantisme :

Tout au fond de ma mémoire
Et de mes tiroirs
Je crois bien que mes souvenirs
N'ont plus rien à me dire

Depuis, de loin en loin, un coup de fil me rassurait sur ses amours, ses enfants, ses projets. Un jour, en janvier 2005, je l'avais eue en ligne alors qu'elle attendait son avion, à l'aéroport de Copenhague : "Je viens d'enregistrer les bases rythmiques de mon nouvel album, en trois jours, sous des tonnes de neige, dans la campagne, à plus d'une heure de route de Malmö, dans le Sud de la Suède ! Un studio analogique 24 pistes comme il n'en existe plus qu'une poignée à travers le monde ! Je te raconterai ! Je te ferai écouter !"

Liö à Malmö ? Je n'en croyais pas mes yeux, ni mes öreilles.

Quelques mois plus tard, effectivement, j'ai pu enfin me plonger dans ces nouvelles chansons, que je n'espérais plus. Tant d'années se sont écoulées depuis son dernier album ! Elle a connu tant de déboires ! Mais aussi de grands bonheurs professionnels : son spectacle autour de Prévert, qui a tourné pendant quatre ans – 250 représentations au total – a attiré plus de 180.000 spectateurs ; au cinéma, son rôle taillé sur mesure dans Mariages ! de Valérie Guignabodet a été pour beaucoup dans l'impressionnant succès du film ; au théâtre, elle a convaincu la critique et des milliers de spectateurs en jouant, seule sur scène, Le Bébé d'après le roman homonyme de Marie Darrieussecq. Celle-ci lui a d'ailleurs écrit une chanson sur mesure sur ce nouvel album : L'Étendue des dégâts.

Ces nouvelles chansons sont renversantes, elles nous font découvrir une Lio métamorphosée : même la voix n'a plus rien à voir avec l'interprète pétroleuse et pétulante de Banana Split et des Brunes (celles qui ne comptent pas pour des prunes) ! L'instrumentation, à dominante acoustique, tel un écrin intimiste, tout comme les histoires qu'elle nous raconte, ne nécessitent pas qu'elle donne de la voix : elle peut ronronner, caresser, feuler, murmurer ; là où elle était soufre, elle se fait soie, là où elle était clarinette elle devient violoncelle.

Le premier acteur de sa nouvelle mise en scène se nomme Doriand, artisan d'une pop française intelligente et racée. Il a publié de beaux albums - Contact, Sommets trompeurs, Le Grand Bain – et offert bon nombre de chansons finement ouvragées à des interprètes telles que Keren Ann et Pauline Croze.

Le second, c'est Peter von Poehl ; il s'est chargé des musiques. On a souvent entendu son nom parmi les proches de Bertrand Burgalat ; il a même joué de la guitare derrière un déclamant Michel Houellebecq en mal de frissons rock'n'roll.

À trois, ils avaient déjà maquetté plusieurs titres, il y a quelques années. Mais il fallait que Lio soit prête. Que se calment les cahots de sa vie, que les flux et reflux de ses marées d'équinoxe lui laissent – enfin – une plage de sérénité.

Doriand aime Lio depuis la première heure et elle le lui rend bien. Il la surnomme Papillon : de rendez-vous manqué en chansons magnifiques, il a fini par l'épingler… L'aventurier entomologiste a montré qu'il est à la hauteur du défi. Pensez : la femme qui a chanté les textes de Jacques Duvall, le meilleur parolier francophone en activité, avec Alain Souchon ! Duvall, le seul capable de rivaliser à armes égales avec Gainsbourg ! Il l'avait prouvé dès les premiers succès de Lio. Il l'a confirmé avec les plus belles chansons de Chamfort, au fil du dernier quart de siècle. Il le montre encore avec Dani, sur le récent album de l'égérie sixties. Sur des musiques de Jay Alanski ou Joseph Racaille, le fidèle Duvall signe d'ailleurs deux textes de Dites au prince charmant…, dont celui-ci :

C'est la fin du monde
C'est Paco Rabanne qui avait raison
C'est la fin du monde
C'est Dieu qui nous damne
Mon homme a quitté la maison

C'est avec Doriand et Peter von Poehl que Lio a tenté l'aventure de Malmö. Sur place les attendaient un géant hippie en sabots, un vieil enregistreur Revox deux pouces, une bande magnétique déjà usée par des hordes de groupes heavy-métal satanique scandinaves et des instruments Light (parce que, comme elle le chante si tendrement, être légère me réussit) : au hasard, piano, violon, flûtes, petite guitare hawaïenne, boîte de riz pour les percussions, pianos d'enfants pour les notes aigrelettes.
À Berlin, dans le home-studio de von Poehl (en fait, sa chambre, mais avec le matelas cloué au mur plutôt que jeté par terre), Vanda a posé ses voix. Derrière les brisures, on sent l'éclatant sourire quand elle susurre Les Hommes me vont si bien :

Les hommes me vont si bien
Que j'en expose à la maison
Au milieu du jardin
Dans chaque chambre
Dans mon salon
Deux ou trois en peinture
Que j'ai épinglés sur le mur
Et j'ai mon préféré
Qui sert de lampe à mon chevet

Alors que ressort – enfin – tout son catalogue, ainsi qu'un somptueux long-box, dont la pochette est signée Guy Peellaert, et des compiles (Pop Songs d'un côté, Ballades de l'autre), Lio nous entraîne, sur son nouvel album, vers des rivages par elle inexplorés : celui d'une femme qui a plaqué et qui l'a été – d'où la reprise du Attends ou va-t-en de France Gall (une chansons de Gainsbourg millésimée 1964). Plus loin, Dans les bras d'un enfant elle nous conte l'aventure d'une maman mûre mais toujours aussi amoureuse, prête à craquer pour un joli garçon, et tant pis pour son âge :

Je ne sais combien de temps
J'ai dormi contre ce géant
Son souffle à mon oreille
Me faisait être un peu moins vieille
Comme j'étais bien
Ne le dites à personne
Mais c'est vrai j'étais bien
Comme dans les bras d'un homme

Dans son livre Pop Model, Lio écrivait "Il y a des jeunes âmes, des vieilles âmes. J'ai en moi celles d'une très vieille dame, très sage, très chenue, et celle d'une enfant qui s'émerveille des choses les plus simples, qui s'enthousiasme pour un rien. Voilà qui me plaît : deux âmes pour le prix d'une !" On les croise toutes deux dans L'Âge des saisons, bouleversante promenade dans la vie d'une femme, du printemps à l'hiver, dont le texte est un authentique tour de force : loin du pathos, risque inhérent à un tel exercice, Lio s'en tire avec la grâce diaphane d'un Chet Baker. Dans une chanson écrite par sa sœur Helena, Hall de gare, il est aussi question de solitude mais cette fois de la pire de toutes, lorsqu'on se sent seule même à deux, comme l'a mise en scène Cocteau dans La Dame de Monte-Carlo…

Indépendante et fière, Lio assume et revendique ses vingt-cinq ans de carrière. Elle s'impatiente à l'idée de défendre sur scène ses nouvelles chansons, peut-être dans des petites salles pour commencer, avant un Olympia qui, déjà, lui est promis. Ce qui nous laisse un peu de temps pour passer le message de la coquine :

Dites au prince charmant
Que je suis partie sur son cheval blanc
Vivre ma vie
Dites-lui
Merci mais…
J'ai déjà beaucoup d'enfants

Gilles Verlant

www.universlio.com

 
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