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        Comme mon ami Charlélie Couture part 
        bientôt en tournée, après avoir sorti un très bel album ("New YorCoeur") 
        scandaleusement délaissé par mes collègues journalistes, je vous livre 
        un texte que j'avais écrit pour un coffret qui réunissait (en 2001) ses 
        albums pour le label Island. Nous sommes restés potes depuis, ce qui est 
        bon signe... 
        
        INITIALES 
        C.C.
         
        
        
         Oh, bien 
        sûr, cela faisait déjà un moment qu'on parlait de la "nouvelle chanson 
        française". Je vous parle de ça, on était en 1979-80, par là. Dans ce 
        sac, en vrac, on fourrait tout le monde et n'importe qui, du rock et du 
        traditionnel, du vraiment nouveau et du à peine dépoussiéré. Certains en 
        sont sortis avec les honneurs, c'est entendu, du genre Jacques Higelin, 
        Alain Souchon, Renaud, Francis Cabrel, Maxime Le Forestier, Dick 
        Annegarn, Bernard Lavilliers, Yves Simon, Alain Bashung et quelques 
        autres. Côté lecteurs de "Best" et de "Rock&Folk", ça s'agitait pas mal 
        également. Avant le coup de Téléphone, il y avait eu Bijou, Métal 
        Urbain, les Stinky Toys, etc. Ensuite, en rafale, Starshooter, Taxi 
        Girl, la farandole des "Jeunes gens modernes" que le mensuel Actuel, 
        ressuscité, n'allait pas tarder à qualifier de "nouveaux et 
        intéressants".
        Dans cette 
        catégorie, les plus perspicaces avaient repéré un pétulant Nancéien, 
        Bertrand Charles Elie Couture pour l'état civil. Le seul Gémeaux que je 
        connaisse né au coeur de l'hiver, un 26 février (faut être Gémeaux pour 
        être aussi papillonneur, touche à tout et multiforme), pile-poil entre 
        une soeur au nom de déesse indienne (la future Australienne Suria Devi) 
        et un un petit frère qui un jour le dépassera d'une bonne tête, une fois 
        rebaptisé Tom Novembre. Cet ex-Éclaireur de France qui, lors des 
        veillées, improvisait de longues histoires au coin du feu (il n'a pas 
        tellement changé de ce point de vue : invitez-le à dîner, pour voir) et 
        qui, à 13 ans, voulait être réalisateur de cinéma. Ce qu'il est devenu, 
        à sa manière, projetant ses petits films dans les crânes de ses grands 
        fans. Un tchatcheur, un rêveur, un baratineur mais surtout un vrai 
        tendre qui n'a rien d'un "Menteur de métier" comme on en croise sur 
        Quoi faire ?, un garçon fidèle à sa destinée, qui n'a jamais perdu 
        la curiosité de son enfance.
         
        Polymorphe
        Cette 
        curiosité, il la doit ses parents. Papa, ancien Résistant, déporté, 
        torturé, antiquaire, érudit, professeur aux Beaux-Arts, drôle (on rigole 
        beaucoup, chez les Couture), lui file le virus de la peinture, le sens 
        de l'esthétique, le souci du travail bien fait. Maman, passionnée de 
        littérature, parisienne exilée, ex-prof de français (notamment à 
        Chicago, où son fiston enregistra bien plus tard un album blues intitulé
        Casque nu), l'initie aux grands de la chanson (Brassens, Brel, 
        Reggiani, Ferré... ) mais aussi à la soul (Ray Charles) et au negro 
        spiritual. Quant à la Mamy, elle lui enseigne le piano dès l'âge de 7 
        ans, l'abreuvant de classiques pas chiants, tels Ravel, Debussy, Satie 
        et Saint-Saëns. Puis il y a les premiers 45 tours achetés avec l'argent 
        de poche, dès l'âge de 12 ans, et une approche de plus en plus 
        passionnée du jazz et du rock.
        Quatre ans 
        plus tard, sans autre rebellion que le désir de se fabriquer sa propre 
        histoire, CharlElie coupe le cordon pour "faire la route", comme on dit 
        depuis qu'on a lu Kerouac. Direction l'ouest, avec une première pause 
        prévue en Angleterre. Seulement voilà, notre héros rebrousse chemin au 
        bout d'une centaine de kilomètres : ça caille, en octobre, sur 
        l'asphalte, en mobylette... Pour se consoler, il écoute Dylan en boucle, 
        l'un des "deux grandes autoroutes" qu'il a "dans la tête", avec 
        Thelonius Monk. "A côté de ça, il y a tout un paquet de nationales, de 
        départementales et de petits chemins qui m'ont passionné. Dans ceux-là, 
        je pourrais citer Tom Waits ou Randy Newman" explique-t-il au gratteux 
        de "Best" venu le cuisiner en 1984. Une liste à laquelle on pourrait 
        ajouter J.J. Cale, Lou Reed ou Kevin Coyne, un anglais oublié à la voix 
        invraisemblable qui marqua le coeur des seventies de ses chansons 
        shizophréniques (normal, pour un ex-infirmier en H.P.).
        En chaque 
        chose il faut un initiateur, une initiatrice. Pour la chanson et la 
        poésie, le garçon qui ouvre les yeux du jeune CharlElie se nomme Pierre 
        Eliane, un grand fan de Leonard Cohen. Puis il y a la toute première 
        expo (de photos, en l'occurence), au Festival de Jazz de Nancy, en 1973, 
        à 17 ans ; les expériences de vie en communauté, avec sa soeur, dans le 
        Sud de la France ; les fricotages avec des militants anars et cocos ; 
        les jobs à deux balles (de pourboire, notamment, quand il est garçon de 
        café). 
        A Nancy, 
        CharlElie revient passer son bac, avant d'entrer aux Beaux-arts, où il 
        s'éclate durant cinq ans. Ce coup-là, il produit tous azimuts, comme un 
        cinglé, et choisit comme sujet de diplôme de fin d'études "La 
        polymorphie de l'esprit", cherchant à renouer avec l'esprit de la 
        Renaissance, en démontrant qu'on peut être à la fois dessinateur, 
        graveur, photographe, cinéaste, poète, écrivain, sculpteur, peintre et 
        musicien. Une philosophie de l'Artiste, de sa place dans la société, 
        qu'il n'a jamais lâchée depuis, au point de faire tourner la tête de 
        ceux, bornés, qui voudraient ne voir en lui que, mais oui, vous savez 
        bien, "ce chanteur lorrain à barbichette et à la voix zarbi"... 
        CharlElie est fier de son éclectisme, ses héros se nomment Cocteau (dont 
        il adule La Belle et la Bête), Warhol, Gainsbourg et Topor ; cela 
        fait vingt ans qu'il correspond à la définition même de l'artiste 
        multimédias, au point qu'on croirait l'expression inventée pour lui.
         
        Podium 
        libre 
        Ses 
        premiers contacts avec le monde de la chanson, il les noue dès 1976, 
        après un passage sur le "podium libre" d'un festival de folk-blues. Il 
        se rêve encore cinéaste, mais il chante aussi dans les MJC du coin, on 
        l'a même aperçu - barbu, dylanesque période Rolling Thunder Revue 
        1975 - en première partie de Lavilliers. Puis Nancy voit paraître le 
        premier album, autoproduit, confidentiel, de son ami Pierre Eliane, 
        Le danseur fou, en 1978, sur lequel Charlie (sic) Couture joue de l'hamonica, 
        de la guitare, des claviers, tout en s'occupant du design de la pochette 
        (retiré aujourd'hui dans les ordres, ce mystique a fait paraître en 1995 
        un album sur des textes de Sainte-Thérèse de Lisieux, Thérèse Songs
        ). A la sortie de son 33 tours, Eliane lui dit "Maintenant, c'est à 
        ton tour !"
        De fait, 
        la même année, CharlElie met en boîte dans un petit studio nancéien 
        Douze chansons dans la sciure, album publié à compte d'auteur, 1.000 
        exemplaires, bonjour le collector : "Je suis entré en studio sans rien 
        connaître", avoue l'auteur. Ce qui n'empêche pas l'un des morceaux, 
        "Dans la lavande et les couleuvres de Montpellier", de parvenir 
        jusqu'aux oreilles de Jean-François Diwo, animateur de Chlorophylle, 
        sur Europe 1, qui le programme avec insistance à l'antenne. 
        
        Le temps 
        de se débarrasser d'une corvée (un service militaire qui dans son cas 
        dura 36 heures à peine : il se pointe devant le conseil de révision 
        ravagé de tics, tel un défoncé aux amphètes, lui qui n'a jamais touché à 
        un rail de sulfate ni gobé le moindre Captagon), Couture se retrouve, le 
        17 avril 1979, à la même affiche que Hubert-Félix Thiéfaine et David 
        McNeil, au Printemps de Bourges. Sa prestation fait forte impression, 
        d'autant qu'il occupe la scène en solo, passant du piano à queue aux 
        guitares couillues et racontant des histoires entre deux chansons. 
        Séduit, le directeur du festival, Daniel Colling, lui fait enregistrer 
        trois mois plus tard un nouvel album Le Pêcheur qui sort sur son 
        label au nom si poétique, Écoute s'il pleut. De ce deuxième 30 
        centimètres, aussi introuvable que le premier, ou presque, on se 
        souvient de C'est libéral, une chanson qui raillait Giscard (à 
        l'époque président de la République, on vous parle d'un temps que les 
        moins de vingt ans ne peuvent pas connaître). 
         
        Atmosphère
        
        Poussé par 
        Colling, soutenu par la rumeur, CharlElie tourne dans des petits lieux, 
        partout en France. C'est ainsi, atmosphère, atmosphère, qu'on le croise 
        à Paris en décembre 1979 : il chante sur une péniche amarrée sur le 
        canal Saint-Martin, face à l'Hôtel du Nord, hanté par les fantômes 
        d'Arletty et Jouvet. Un journaliste du Monde, aussitôt séduit, lui 
        consacre un papier dithyrambique ; Véronique Colucci vient l'applaudir 
        et lui présente bientôt son mari, un certain Coluche, avec qui CharlElie 
        se lie d'amitié. Un an avant de se présenter aux présidentielles, Michel 
        l'invite à passer l'été 1980 au Café de la Gare, partageant l'affiche 
        avec Richard Gotainer. A l'époque CharlElie, punk dans l'âme, écoute les 
        conseils du génial comique, qui sait ce que signifie le mot intégrité : 
        "Ou bien tu fais la chanson que tu préfères, lui dit-il, ou bien tu fais 
        celle que tu crois qui va marcher". Sous-entendu, dans ce cas-là, viens 
        pas te plaindre si t'as mal à ta conscience...
        Au Café de 
        la Gare, CharlElie monte sur scène à 22h15, après le spectacle de 
        Coluche, devant les 60 ou 100 spectateurs qui restent, y compris, un 
        soir, un nommé Jean-Henri Meunier qui, en loucedé, enregistre le concert 
        avec un dictaphone et se propose de faire écouter la cassette à son ami 
        Chris Blackwell, patron du label Island et producteur de Bob Marley, à 
        l'époque au sommet de son flair artistique (il publie les albums de 
        Grace Jones, Marianne Faithfull, Steve Winwood, Robert Palmer, les 
        B-52's etc.). Blackwell, qui ne pipe pas un mot de français, est 
        immédiatement séduit par cette voix rocailleuse aux inflections très 
        inhabituelles chez un Français, par cet accent (que d'aucuns, mauvaises 
        langues, trouvaient affecté) qui n'est en fait que la manière très 
        personnelle qu'a trouvée CharlElie d'adapter spontanément le français 
        aux contraintes phonétiques du phrasé blues et rock. Une technique qui 
        consiste à durcir sa voix, à la centrer dans le masque, en supprimant 
        les basses, pour mieux se poser sur les instruments électriques, d'où 
        l'aspect "nasillard" qu'on a souvent rapproché d'un supposé patois néo-québecois-cajun-post-lorrain 
        (à moins que ce ne soit juste une question de "chat dans la gorge" et 
        "de voix qui chevrotte" comme il le chante dans Pochette surprise). 
        De toute façon, comme le dit l'intéressé, "Je ne veux pas me faire chier 
        à bien chanter". Le débat est donc clos.
         
        Les années 
        Island
        Et c'est 
        ainsi que démarrent les années Island, le 26 février 1981, le jour de 
        ses 25 ans, quand CharlElie publie un album qui ne porte pas de nom mais 
        que tout ses fans ont eu le temps de rebaptiser Pochette Surprise 
        du titre de la chanson qui l'ouvre. Enregistré au Chateau d'Hérouville 
        (le Honky Château d'Elton John qui a vu défiler les plus grandes 
        stars des années 70), mixé à Nassau, Bahamas par CharlElie et Chris 
        Blackwell, la photo de couverture imprime à jamais sur nos rétines le 
        fameux look du personnage, conscienceusement façonné et prémédité. Dandy 
        authentique, riant sous cape, l'oeil flegmatique qui scintille comme une 
        boule de miroirs, il a tout prévu, pour une identification automatique : 
        le bouc (souvent triangulaire, pour rappeler le mont de Vénus), les 
        tempes rasées, le béret ou la calotte, les vêtements de récup' mais 
        constellés de badges. "CharlElie est un personnage, déclare l'intéressé. 
        Il y a CharlElie et puis moi. Mais en général, je me démerde pour que 
        CharlElie dise des trucs que je pense".
        L'accueil 
        critique est globalement épatant. Quatre mois avant la vague rose qui va 
        festoyer à la Bastille, on se délecte de ses paroles moroses : 
        La vie ça se passe comme ça 
        C'est 
        comme une pochette surprise (...)
        Chacun ses 
        misères, chacun ses crises de nerf
        Chacun son 
        cancer, chacun ses ulcères...
        Parmi les 
        chansons les plus réussies, M'enfermer avec toi, ode au cocooning 
        tendre, Rien à l'horizon, parce qu'il faut toujours s'en 
        aller, s'en aller maintenant, ou la magnifique Ballade du mois 
        d'août 75, "ma première chanson super-8", comme dit son auteur, 
        qu'il annonçait sur scène par ce monologue : J'habite une région en 
        plomb qui a vu passer les armées ennemies ; les habitants ont appris à 
        se taire, alors ils font des bocaux, ils font des conserves. Ils 
        s'enterrent dans le travail, ils méprisent l'iinsouciance, ils méprisent 
        le plaisir. Le ciel est bas de plafond, et tout l'été n'est fait que 
        pour préparer l'hiver... Mais on sourit aussi, en matant Les 
        Anglais en vacances ou Les pianistes d'ambiance, au texte 
        parlé qui traque les généralités : Il est gentil mais il est comme 
        tous les artistes, c'est tous des feignants (...) Hormis ceux qui ont 
        réussi alors on dit "vous avez dû travailler beaucoup pour en arriver 
        là"...
         
        Fauteuil 
        en cuir
        Six mois 
        plus tard, CharlElie part à New York, une ville qui au premier abord le 
        rebute, même s'il enregistre aux mythiques Electric Lady Studios avec 
        des musiciens ricains. Les notes de pochette nous apprennent que 
        Blackwell a confié son poulain francophone à Michael Zilkha (fondateur, 
        avec Michel Esteban, du label Ze Records, il publie à l'époque les 
        premiers albums de Kid Creole, Cristina, Alan Vega, Lizzy Mercier, etc.) 
        mais l'intendance est toujours assurée par Christian Lemasson, homme de 
        l'ombre, manager, directeur artistique dont CharlElie confie "si 
        j'existe c'est un peu grâce à lui". La pochette, elle, est signée B. 
        Scout (CharlElie, l'ex-éclaireur) et Mah Duboy, sa compagne du moment. 
        Publié à l'automne 1981, neuf mois à peine après le précédent, Poèmes 
        Rock crée un choc : slalomant entre blues, rock, new wave, reggae et 
        funk, CharlElie en a bien sûr écrit les paroles, composé les musiques, 
        supervisé les arrangements, il est à tous les stades de la création, 
        blindé par son élégance et son désir de tout contrôler. Il ne s'agit pas 
        d'un banal recueil de chansons, mais d'un programme, que le public va 
        acheter en masse (il s'agit encore, à ce jour, de sa plus grosse vente), 
        dont les différentes parties sont le plus souvent conçues comme des 
        scénarios cinématographiques : en quelques mots, Couture plante le décor 
        et les personnages : 
        Derrière 
        le parking qui est désert la nuit
        A côté de 
        la voie ferrée dans une impasse étroite
        Il y a un 
        petit bar aux papiers peints jaunâtres
        Dans 
        L'histoire du loup dans la bergerie, on croise un légionnaire à 
        cicatrice (à ne pas confondre avec Jacky, le légionnaire faf de
        Solo Boys, cinq ans plus tard, celui qui jette les Arabes hors 
        des trains à grande vitesse) qui a fait l'Indo et l'Algérie. Le 
        fauteuil en cuir met en scène l'ennui, ce petit frère de la 
        solitude, "cet antichambre de la mort", comme il le dit joliment, thème 
        récurrent dans son oeuvre : Combien de temps passé à longer, longer 
        les murs, à mâchouiller un chouingum jusqu'à ce que le sucre 
        ait disparu. Ses personnages, souvent des losers et des inadaptés, sont 
        décrits avec un regard journalistico-philosophique où se mêlent 
        lucidité, tendresse et cruauté ; on pense à la solitude de cette fille 
        qui boit du whisky pour séduire les hommes mais qui les supplie T'en 
        va plus t'en va pas au petit matin, ou à l'errance (et l'histoire 
        vraie) de Serge K, ce mec licencié par Peugeot, qui se laisse 
        bouffer par la ville, qui tombe, qui n'a personne à appeler et qui finit 
        par crever de froid. "On m'a remis un jour un prix de la chanson 
        surréaliste. Je ne suis pas du tout surréaliste ! Je suis un auteur 
        lucide, extra-lucide !" commente Couture, à raison : ses mini-récits ont 
        souvent une morale, ses chansons ont alors valeur de paraboles. Un 
        journaliste inspiré, Christophe Sokal, (dans "Rock This Town", janvier 
        1983) dira "de chansons mordantes en blues moroses, il raconte des 
        quotidiens pas assez tristes pour être désespérés et pas assez drôles 
        pour être parodiques". Bref, les chansons de CharlElie ressemblent à la 
        vie. D'où le succès, emblématique du début des années 80, de Comme un 
        avion sans aile, la seule de ses chansons anciennes à tourner 
        encore, aujourd'hui, sur les ondes nostalgiques, ce qui montre combien 
        les programmateurs ont la mémoire myope : ode d'espoir et d'envol 
        (forcément), mélodie éternelle, a-t-elle besoin d'être ici détaillée ?
         
        Quoi faire 
        ?
        Dans la 
        foulée de Poèmes rock, il y aura un Olympia dit "de consécration" 
        ou en tout cas de "la reconnaissance" ; étape importante, certes, mais 
        moins aboutie que l'Olympia 1983 (dont on peut enfin découvrir la 
        substance sur le live inédit qui accompagne le présent coffret). Comme 
        il le dit lui-même, "je suis bien meilleur sur scène que sur disque"... 
        En 1982 sort l'album Quoi Faire?, où il est encore question 
        d'histoires de solitudes, mais cette fois "par rapport à son quartier, 
        sa famille, ses proches". Sur la pochette intérieure du 30 cm original, 
        qui signale le retour au bercail du guitariste Alice Botté, les paroles 
        en français figurent d'un côté, la tradoc en anglais de l'autre, indice 
        des ambitions internationales de Blackwell et de l'artiste. Quoi 
        faire ?, également le titre d'une émission de télé (52 minutes) 
        mettant en scène douze chansons, est, après la décevante escapade new 
        yorkaise "enregistré dans mon contexte à moi, près de Nancy, dans un 
        Moulin, avec le studio mobile d'Island". L'album "a été conçu exprès 
        pour déstabiliser ceux qui m'avaient mis dans un moule". Cracherait-il 
        dans la soupe ? Non, sans doute, mais le vaste public qui a acheté son 
        album précédent n'est pas forcément celui qu'il voulait séduire, les 
        fans de rock : notre Dylanophile frustré, avec "toujours cette voix 
        grinçante qui distille ses images crottes de nez et taches sur la 
        moquette", fait cependant la couve de "Rock&Folk" en mars 1983. Au fil 
        du long papier de Philippe Blanchet, CharlElie affirme "La province est 
        très dangereuse, je crois. Souvent, on manque de références. En tout 
        cas, en tant qu'adolescent, ça ne me suffisait plus"
        Quand 
        j'étais plus jeune
        Je 
        redoutais les dimanches après-midi en automne-hiver
        La ville 
        entière sous anesthésie
        Et les 
        copains chez eux à s'emmerder comme moi
        Eh oui, à 
        Nancy, 330.000 habitants, il t'arrive d'avoir des envies de Meurthe : 
        "une ville grise, lourde, emmêlée dans la bourgeoisie et le modernisme. 
        La caricature de la France." Ce mortel ennui des dimanches interminables 
        et étouffants qui onze ans plus tard lui inspirera une autre chanson 
        superbe, Les enfants du dimanche ou l'amour divorcé, sur l'album
        Les Naïves. 
        Quoi faire 
        ? est bien sûr le titre d'un bouquin de 
        Vladimir Illitch Lénine que tous les lycéens des années 70 ont lu ; mais 
        pour Couture c'est plutôt "Do it !", façon Jerry Rubin : fais-le ! 
        "L'important c'est de créer quelque chose et après de voir comment 
        l'utiliser". Parmi les chansons renversantes de tendresse, Elle m'a 
        écrit des lettres conte l'histoire de cette fille qui lui envoyait
        Des cravates pornos et des jolis polaroïds, rien à voir avec 
        celle qui n'a Jamais connu l'amour parce qu'elle a la hantise du 
        sexe, que la moindre allusion fait rougir mais qui les nuits d'orage 
        danse, seule devant sa fenêtre grande ouverte... Une thématique qui sera 
        au coeur du diptyque Solo Boys / Solo Girls des années 
        1986-88.
         
        Local rock
        Crocodile (aussi intitulé Crocodile. ou 
        Crocodile point), publié en octobre 1983, est l'occasion d'une 
        nouvelle volte-face : il quitte à nouveau sa Lorraine natale et 
        enregistre au Québec, avant de mixer à nouveau à Nassau. Le son est plus 
        new wave, dans l'air du temps, avec ses boucles synthétiques, parfois 
        planantes (Forme blanche), parfois speedées (l'ironique Combat 
        de phoques qui raconte un déjeuner d'affaire entre businessmen 
        teigneux, alcoolisés et lubriques) mais qui ont mieux supporté les 
        épreuves du temps que beaucoup d'albums contemporains. Sur Local rock, 
        CharlElie décrit le quotidien d'un rocker de province, avec du venin 
        dans les veines / du sirop dans le coeur, qui jamais ne sortira de 
        la cave où il répète, seul endroit où il ose être lui-même. Rien à voir 
        en somme avec "Local à Louer", l'assoc' montée à Nancy deux ans plus tôt 
        avec ses premiers chèques de royalties, où CharlElie réunit son "gang", 
        des peintres, sculpteurs, photographes, graphistes, y compris son 
        frangin Tom Novembre (qui, à l'époque, publie déjà son deuxième album,
        Toile cirée, suivant de près Version pour doublage, en 
        1982).
        A ces 
        giclées d'adrénalines, on peut aussi préférer les titres plus dépouillés 
        : Aboyez les chiens, blues poisseux, ou Tu es loin, 
        ballade tubesque sur tempo reggae à l'image de cet éternel dilemme : 
        "Les gens ne savent pas si je suis un rockeur qui ballade ou un baladin 
        qui rocke"... Rétrospectivement, CharlElie se montre critique à l'égard 
        de ce Crocodile, comme il le confiera en 1987 au mensuel "Paroles 
        et Musique" : "Quand je réécoute le disque, je dois moi-même faire des 
        efforts pour comprendre ce que je dis. Dans le contexte de l'époque, je 
        refusais de dissocier paroles et musique. C'était un climat global où la 
        voix était un instrument comme un autre. Mais après coups, je me suis 
        aperçu que c'était jouer à l'étranger sur mon propre terrain. C'était un 
        peu ridicule". En même temps, on ne peut que saluer l'intégrité du mec 
        qui s'interroge sur la signification de l'expression "rock" : "Le rock a 
        été assimilé, truqué, truandé, défait de sa signification, le rock est 
        devenu un déguisement : la mort du rock, c'est Julien Clerc qui chante
        Coeur de rocker. (...) La variété c'est de l'artisanat. Le rock, 
        c'est de l'art. (...) L'artisan a une cible. L'artiste a un regard plus 
        lointain, plus abstrait, dont lui-même ne connait pas l'issue" ("L'Indic", 
        été 1992. Coeur de rocker fut un tube de l'été 1983, au moment où 
        CharlElie terminait Crocodile.)
         
        Tchao 
        Pantin 
        1983 est 
        aussi l'année de "Tchao Pantin" pour Claude Berri, avec son pote 
        Coluche, qui lui vaut d'être nominé six mois plus tard aux César, 
        catégorie meilleure musique de film. Egalement publiée sur Island, elle 
        reparaîtra prochainement dans un coffret consacré à ses meilleures B.O. 
        ; CharlElie a aussi signé, celles de "Taxi Boy" d'Alain Page, "La Salle 
        de Bain" d'après le livre de Jean-Philippe Toussaint, en 1989, "La 
        petite amie d'Antonio" de Manuel Poirier et d'une quinzaines d'autres : 
        "C'est comme tailler un costume que je n'aurais pas à porter" dit 
        joliment CharlElie à propos de cette activité satellite... 
        
        Enfin, 
        clôturant ses années Island, l'album Art et Scalp sort en 
        
        1984, "un 
        disque très politique que j'ai fait pour vider ma conscience". Cinq ans 
        avant la chute du Mur, on est au creux des années creuses, avec côté 
        U.S. (la reine trop capricieuse) les eighties yuppies et côté 
        U.R.S.S. (la montagne mystérieuse), la tragique déchéance du bloc 
        de l'Est qui n'attend qu'un "Gorby" Gorbatchev pour enfin passer à autre 
        chose. Peu adepte de la sociologie cloutée, CharlElie constate 
        qu'on est condamné à lutter / ou condamné à produite / on est tous 
        innocents / condamnés à tenir... Il revient d'une tournée - au cours 
        de laquelle il a commencé à dessiner ses désormais fameuses "chambres 
        d'hôtel", qu'il exposera notamment chez Agnès B en 1985 - et veut 
        retrouver la simplicité de Poèmes rock, un son très live, 
        "un mélange des Doors et de Orchestral Manoeuvres In The Dark. Là, le 
        public a décroché." dira-t-il à "Platine" une douzaine d'années plus 
        tard. Pourtant, considérant ce disque comme un aboutissement, il 
        déclarait au "Soir" de Bruxelles, à sa sortie : "Maintenant je peux 
        mourir, j'ai fait ce que j'avais à faire". Au final, Art et Scalp 
        est sans doute l'un des albums les moins connus de sa carrière, même si 
        certaines chansons ont survécu, telle l'autobiographique 1.000 
        interviews (Comme un oeuf vous me faites cuire : le mec lassé 
        de raconter pour la 1000ème fois le pourquoi le comment de son look, de 
        son accent, de Chris Blackwell, de Nancy). 
        Après un 
        million de disques écoulés en quatre ans, cette fois les ventes ne sont 
        pas au rendez-vous, ce qui n'empêche pas CharlElie d'enchaîner avec un 
        Palais des Sports plein à craquer en janvier 1985, avec décors du 
        dessinateur Rémy Malingrey et le clownesque Gustave Parking en première 
        partie.
         
        Aime-moi 
        encore au moins 
        Depuis ses 
        années Island, CharlElie nous a offert une dizaine d'albums studio et 
        deux live. On l'a vu tourner en Asie du Sud-Est (1986), on l'a vu 
        rôder dans de petites salles les chansons de Solo boys, album du 
        renouveau, publié chez EMI, suivi de Solo girls (1988, avec le 
        sublime Aime-moi encore au moins), deux albums-concept suivis 
        d'un spectacle sur la solitude en trois volets aux Folies-Bergère, une 
        première soirée étant réservée aux filles, une deuxième aux garçons et 
        une troisième aux couples (depuis, parmi les autres scènes légendaires 
        de sa carrière, il faut citer le Théâtre de l'Odéon en 1995, la Cité de 
        la Musique en 1996, un concert exclusif sur Internet le 29 juin 2000, 
        etc.). CharlElie a aussi rencontré la femme de sa vie, Annie (quel joli 
        prénom), maman de ses deux filles et manager de compétition, il a voyagé 
        en Australie, où vit sa soeur, au début des années 90, opérant un 
        nouveau virage artistique, marqué par deux albums impressionnants -Melbourne 
        Aussie  (1990) et Victoria Spirit (1991) - dont certains 
        titres, en anglais, prouvent qu'il est l'un des rares artistes français 
        capables de chanter dans cette langue sans être ridicule. Parallèlement 
        le "chanteur" continue ses expérimentations dans différents domaines : 
        réalisation de courts métrages, de clips vidéo (de ses propres chansons, 
        depuis Comme un avion sans ailes, en passant par celui de 
        Suprème dimension, sur Solo Boys, en 1986) expositions de 
        photos, de dessins, de peintures, de sculptures sur bois, écriture de 
        livres (dont Les dragons en sucre, recueil de nouvelles paru en 
        1990, et son hilarant Inventaire paradoxal de petits plaisirs et de 
        grandes haines, cinq ans plus tard chez Stock, qui anticipait La 
        première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe 
        Delerm), livres de dessins (sur le tennis), écriture de spectacles (avec 
        son frère Tom Novembre, comme Un soir au bout du monde en 1992), 
        CharlElie n'arrête jamais, il n'attend pas que la muse vienne le toucher 
        du doigt, il va la draguer où elle se cache, cette salope. Et oui, je 
        vous le confirme, on attend toujours son long métrage. 
        
        Pour se 
        consoler, on a eu droit à un album magnifique, Les Naïves (1994), 
        au Dawn Town Project (album en 1995, avec le New Yorkais Mike Rimbaud), 
        au blues roots et au crâne rasé de Casque Nu (1997), signé 
        de son seul prénom, puis au coquin Soudé-soudés lancé au Musée de 
        l'érotisme, à Pigalle (V2, 1999) en attendant le sang neuf du prochain 
        CD, Poèmes électro, le seizième studio, une splendeur qui nous 
        démontre une fois encore combien nous avons raison de suivre pas à pas 
        cet artiste précieux qui un jour citait ce fameux dicton du designer 
        Raymond Loewy : "La laideur n'est pas loin d'apparaître quand la beauté 
        finit par appartenir au plus grand nombre". 
        
        Gilles Verlant 
      
       www.charlelie.com |