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Je
déteste Jacques Duvall. Ce garçon m'insupporte : trop de talent, un goût
sans faille, un don hors du commun avec les mots, une tournure d'esprit
d'une classe folle qui lui permet d'exprimer les états d'âme les plus
désespérés avec un humour pince-sans-rire qui le sauve de tout
sentimentalisme. Contrairement à ce qu'annonçait le titre d'un de ses
albums introuvables, il ne m'a jamais déçu : jamais je n'ai éprouvé la
perverse jouissance de pouvoir me dire "ah ! ça y est, il a commis une
grosse merde, c'est un homme après tout, il a ses faiblesses". Duvall
est le Superman des lyrics, aucune kryptonite ni fin de mois difficile
ne l'ont jamais poussé à la faute. Certes, il est peu disposé pour le
bonheur, ça lui fait un point commun de plus avec Gainsbourg, son Maître
devenu son égal, son frère. Tant pis pour lui et tant mieux pour nous :
sa lucidité ne sera jamais émoussée, ni par les bons sentiments, ni par
la plus humble des charités chrétiennes.
Je déteste Jacques Duvall. Mais j'aime souffrir en l'écoutant. J'aime me
tordre les mains et l'estomac de rage en geignant "putain l'enfoiré de
sa race où a-t-il été chercher cette rime, cette idée ?" Comme je suis
maso, j'attends chacun de ses disques, chacun de ses textes avec une
impatience fébrile. C'est tout le mal que je me souhaite, que je vous
souhaite : qu'il en sorte plein, plein plein plein, parce qu'il est bon
d'avoir un héros.
Même un qu'on déteste.
Gilles Verlant
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