- Jacques Brel : je vous ai apporté une intégrale
(passque les fleurs, ça est périssable)
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Plutôt
qu'une énième biographie de Brel (il en existe d'excellentes chez
votre libraire), nous avons préféré vous présenter l'intégrale de son
œuvre, chanson par chanson, avec quelques repères biographiques.
L'ordre chronologique d'enregistrement des chansons a été
privilégié ; quand plusieurs chansons ont été "mises en boîte" le même
jour ou dans une même période, elles sont ensuite reclassées selon
l'ordre de présentation sur l'album (25 ou 30 centimètres)
d'origine (plutôt que des super-45 tours). Tout cela a été rendu
possible grâce au remarquable travail effectué par Jacques Lubin sur
l'historique des séances d'enregistrement. Pour retrouver aisément
chaque chanson, la référence est indiquée après le titre (ex. : CD1 /
13 = premier CD, 13ème morceau).
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8 avril
1929,
vers 3 heures du matin, naissance de Jacques Romain Georges Brel, à
Bruxelles, fils de Romain Brel et de Élisabeth Van Adorp, dite
Lisette, dite "Moucky".
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28 avril
1940.
Brel, qui sert parfois la messe comme enfant de chœur, fait sa
communion solennelle. Ses résultats scolaires sont corrects (plus pour
longtemps), il est même premier en poésie, système métrique et…
religion. Depuis trois ans, Brel passe ses dimanches chez les
louveteaux. En 1942, on lui attribue son totem scout : "Phoque
hilarant".
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Printemps 1944.
Avec son inséparable copain Robert Stallenberg, comme le raconte Marc
Robine, son meilleur biographe, Brel monte une troupe de théâtre
amateur au sein de l'Institut Saint-Louis, avec l'aide de l'abbé
Deschamps, qui a deviné que "sous la carapace du cancre sommeille une
extrême sensibilité". Jacky, qui adore déjà faire le pitre devant ses
camarades de classe, découvre l'ivresse de la scène.
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- Mai 1947
À 18 ans, Brel se proclame directeur
de la publication d'un petit journal de son quartier de Molenbeek
baptisé "Le Grand Feu". Sur quatre pages, plein de bons sentiments,
d'appels à la fraternité, contre "le matérialisme ambiant", contre "le
goût bourgeois du confort et du luxe" ; il y eut deux numéros.
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1er
juin 1948.
Début du service militaire (12 mois). Brel, matricule A 48-2567, fait
ses classes dans le Limbourg, avant d'être affecté à l'unité de
défense des aérodromes, caserne Groenveld, à Zellik. Future
inspiration pour ses chansons antimilitaristes : "Casse-Pompon", "Au
suivant", etc. À son retour, il intègre la cartonnerie familiale,
d'abord comme représentant, puis à la direction des ventes. Ennui
mortel.
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1949.
Brel devient président du mouvement de jeunesse qu'il fréquente depuis
deux ans. "La Franche Cordée" a été fondée par son ami Hector
Bruyndonckx, chrétien militant, pompeux et sermonneur qui eut sur le
jeune artiste une influence déterminante. Devise : "Plus est en toi".
Emblème : la couronne du Christ-Roi. Parmi les commandements : "Prends
la vie de face. Fais de ta volonté un soc d'acier qui mord la terre et
trace un droit sillon… Aie soif et faim de beauté, de grandeur, de
silence. Ne te replie pas sur la médiocrité". Nul doute que
l'influence de Franche Cordée sur les premières chansons fut
déterminante.
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22 mars
1950.
"M. Jacky Brel, l'animateur", se produit au programme d'un "Cabaret
artistique" présenté au café de l'Imperial Palace à Bruxelles. Avec sa
future femme, de deux ans son aînée, rencontrée à la Franche Cordée,
il organise chez lui le dimanche des réunions où l'on discute et l'on
chante.
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20 mai
1950.
Jacques Brel épouse Thérèse Michielsen, dite "Miche". La cérémonie
religieuse a lieu le 1er juillet.
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6
décembre 1951.
Naissance de Chantal, leur première fille. France suivra le 12 juillet
1953 et Isabelle le 23 août 1958.
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1952.
Brel, qui s'est laissé pousser la moustache (pas sa meilleure idée)
chante régulièrement au Grenier, petite salle de 40 places à l'étage
de la Rose Noire, cabaret et restaurant de la Petite rue des Bouchers
à Bruxelles, où l'on écoute du jazz et de la chanson à texte. Sa mère
vient l'applaudir, mais pas son père, malade, qui désapprouve.
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1953
-
- 17 février :
enregistrement de quatre titres pour le compte de Philips-Belgique
avec le trio de l'accordéoniste Lou Logist ("Il y a", "La Foire", "Sur
la place", "Il pleut"). Les deux premiers sortent sous la forme d'un
78 tours vendu à 200 exemplaires. Critique réputée, Angèle Guller, qui
croit en Brel depuis quelques temps déjà, au point de l'emmener dans
une tournée de conférences sur la chanson, transmet l'enregistrement à
Jacques Canetti, légendaire découvreur de talents (Félix Leclerc,
Georges Brassens, Boris Vian, etc.).
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Il y a
CD1 / 13
-
"Il y a
tant de brouillard dans les ports, au matin / Qu'il n'y a de filles
dans le cœur des marins" : neuf ans avant "Le Plat Pays", onze ans
avant "Amsterdam", Brel esquisse certains de ses futurs thèmes de
prédilection. "Une crème fouettée de clichés sur un pudding de
platitudes néo-réalistes", d'après Olivier Todd, l'un de ses plus
fameux biographes.
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La Foire
CD1 / 14
-
"Au
début, j'étais pas incompris. J'étais mauvais (…) Personne n'a voulu
chanter mes chansons (…) J'ai été obligé de me débrouiller moi-même
avec ce que j'écrivais" confiait Brel au micro d'Europe n° 1 en mai
1968. Quatre ans plus tôt, à Jan Clouzet, il avait expliqué "mes
premières chansons étaient plus entières que maintenant. Moins
réticentes"
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1er
juin.
Jacques quitte la cartonnerie familiale, où il a travaillé sans
conviction pendant un peu plus de 5 ans. Jacques Canetti l'encourage à
"monter" à Paris. Quelques jours plus tard, plein d'espoir, Brel prend
le train en troisième classe. Première étape : l'hôtel Picardie, 9 rue
de Dunkerque, près de la Gare du Nord. "Je ne savais pas du tout ce
qu'était Paris. J'étais venu une fois. Je savais encore moins ce
qu'était la chanson. Et je suis parti. Cet acte relève de la folie"
déclara-t-il des années plus tard. De fait, Canetti le déçoit en lui
faisant des remarques désobligeantes sur son physique, lors d'une
audition. Ce qui attend Brel ? Des années de dèche (malgré le soutien
de la famille, qui continue de lui verser quelque temps un petit
salaire), des déceptions en cascade, combattues par une volonté
farouche. Comme ce concours de chanson auquel il participe durant
l'été, au casino de Knokke-le-Zoute : il finit dernier…
-
- Les 14 et 21 août, toujours seul à la
guitare, Brel enregistre 25 chansons pour la BRT (radio belge
néerlandophone), dans son studio régional du Limbourg, à Hasselt. Dès
septembre, il retourne à Paris, loge à Montmartre dans un petit hôtel,
chante aux Trois Baudets (vêtu d'une sorte de sombre chasuble qui le
rend plutôt ridicule) et dans les rares cabarets qui veulent bien de
lui.
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À deux
CD 16 / 1
-
Jacques
est amoureux de Miche. Avec emphase, il évoque de "bâtir des
cathédrales / Pour y célébrer nos amours / Nous y accrocherons des
voiles / Qui nous pousseront vers le jour". L'image des voiles
accrochés aux cathédrales sera ressuscitée en 1977 sur l'une de ses
dernières chansons, "La Cathédrale", comme le souligne Jacques Vassal
dans son livre "Jacques Brel – Vivre debout".
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Les Gens
CD 16 / 2
-
Belle
Jeannette a fauté / Je n'en dis pas davantage…
Brel fut-il l'un des premiers fans de Brassens, dont les chansons
paraissaient chez Philips depuis moins d'un an ? On peut l'imaginer à
l'écoute de ce titre, qui ressemble également à un brouillon pour de
futurs chefs d'œuvre comme "Les Bigotes".
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Départs
CD 16 / 3
-
Il est
passionnant d'écouter ces premières chansons aux flagrantes
maladresses (justesse, accent, simplicité harmonique). Déjà, le thème
de l'amitié, de ceux dont on s'éloigne, des idées que l'on a aimées
puis reniées. Tous les au-revoir / Qu'on lance à la ronde / Parce
qu'on croit devoir / Parcourir le monde : Brel a-t-il déjà deviné
qu'il faudra en passer par là pour accomplir son projet artistique ?
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L'Ange
déchu CD 16 / 4
-
Je t'ai
dit demain / J'ai pensé "je mens…" : première oeuvrette sur le thème
de la lâcheté. Du haut de ses 24 ans, Brel se glisse dans la peau d'un
ange déchu et d'un amant déçu qui a perdu son idéal amoureux.
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Ce qu'il
vous faut CD 16 / 5
-
Charles
Trenet de sous-préfecture (on en est là), le jeune artiste nous livre
sa philosophie gentillette et guillerette. Il nous faut de l'amour,
des chansons, un brin de folie, des rires d'enfants et un bout de
printemps, pour supporter les gens raisonnables que la raison a
fatigués.
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L'Accordéon de la vie CD 16 / 6
-
Thème
récurrent de la chanson réaliste, Brel s'adresse à un vieux musicien
qui le fait rêver, courbé sur son accordéon. Todd note l'apparition
d'un néologisme brélien : "Et pour nous accordéonne…" qui précède de
quelques années la "voix bandonéante", les vieilles qui "cimetièrent",
Bruxelles qui "bruxellait", etc. On est loin cependant de sa future
complicité avec l'accordéoniste Jean Corti, plus loin encore du fameux
"chauffe Marcel !" de "Vesoul" (1968) !
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Suis
l'ombre des chansons CD 16 / 7
-
Mélodie
réussie pour un texte qui manque de clarté, mais qui se termine sur
une note d'espoir. À qui Brel, déjà donneur de leçon, s'adressent ces
conseils quelque peu alambiqués ? Qui donc a gaspillé l'amour ? Que
sont ces rêves illusoires ?
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Ballade
CD 16 / 8
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Inspiration médiévale pour cette chanson prémonitoire où
Brel-le-manant, qui s'adresse aux bourgeois, seigneurs et nobles
dames, rêve déjà d'un joli bateau (pour faire la pêche à la morue et
s'amuser sur l'eau : il faut un début à tout !) et, se perdant en
route, d'un avion pour aller voir le Bon Dieu. Deux rêves qu'il
réalisera, bien plus tard !
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L'Orage
CD 16 / 9
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Exercice
de style folkloriste, on est touché par le ridicule de certaines
images : La pluie jolie / la pluie qu'étincelle / A comme ma mie un
rire de crécelle. Mais la chanson trouve son sens au dernier
couplet, quand il s'en prend à ces hommes qui cachent leurs amours :
de tout cela, mais surtout de la vie incertaine, l'auteur a peur, au
point d'implorer sa maman !
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Les
Pavés CD 16 / 10
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Brel,
timide, regarde ses pieds, regarde les pavés de sa rue, qui lui
rappellent le chemin de l'école, les sœurs aux cornettes en
auréoles, puis les filles à qui il n'osait parler, puis Lucie à
qui il s'est fiancé, puis il pense, morbide, à la carriole qui
l'emmènera dans sa caisse de bois. On peut sourire, en revanche, de
ces pavés aux joues humides de rosée…
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Les Deux
Fauteuils CD 16 / 11
-
Les
personnages de sa comédie humaine se mettent en place : longtemps
avant "Les Vieux", il nous fait le portrait de grands-parents
imaginaires à partir de leurs fauteuils favoris, retrouvés tout
pourris au grenier. Certaines de ces premières chansons ne prennent de
valeur qu'au regard de la promesse qu'elles portent en elles : "Les
Deux Fauteuils" est de celles-là. L'accent flamand qu'il trahit dès
les premiers vers (J'ai rrretrrouvé / Dans mon grrenier / Deux
fauteuils vèrrts") est-il involontaire ou annonce-t-il la
théâtralisation de ses futures chansons ?
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Tous les enfants du roi CD 16 / 12
-
Je prie
pour les hommes / Qui ont perdu la foi / Pour eux le ciel est gris et
lourd et monotone / Et les quatre saisons s'appellent toujours
l'automne…
Le ton doucereux et patelin rappellera à tous ceux qui ont dû les
subir de pénibles souvenirs de messes dominicales. Inutile de chercher
un second degré, jusqu'à cet aveu : Ô madone / Je te prie / Aie
pitié de moi / Car je suis de ces hommes / Qui ont perdu la foi.
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-
Le
Troubadour CD 16 / 13
-
Apparenté au "folklore de patronage" d'après Todd, cette chanson
acquiert, avec le recul, une valeur prémonitoire : Brel résume une
carrière qui n'a pas encore commencé : Je suis un vieux troubadour
/ Qui a conté beaucoup d'histoires… Chanter un idéal sans y
croire, mais finir par s'en convaincre : tel est le but qu'il se fixe
alors qu'il n'a encore rien accompli, ou si peu. Étonnant, non ?
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1954
-
- 12 février. Brel court
les auditions, de cabaret en cabaret : Robine en dénombre 80 durant
l'hiver 1953-54 ! Canetti, qui l'a brièvement fait chanter quelques
mois plus tôt aux Trois Baudets, à la même affiche que Mouloudji, lui
propose – enfin – le contrat tant attendu. Le voici lié pour cinq ans
avec le label Philips ; le contrat sera ensuite prorogé jusqu'au 15
février 1962. Mais de longs mois vont encore s'écouler avant la sortie
du premier 45 tours quatre titres.
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La Haine
CD1 / 1
-
Premier
des 9 titres enregistrés le 15 février 1954 pour le premier album 25
centimètres (qui ne paraîtra qu'en 1955). Jeune marié, jeune père,
jeune artiste, Brel déverse son aigreur avec une vigueur
déconcertante. Jouerait-il déjà un personnage ? Un an plus tôt, il
évoquait Un troubadour désenchanté / Qui par une habitude vaine /
Chante encore l'amitié / Pour ne pas chanter la haine.
Visionnaire, il se voit marin ou ivrogne en partance, gueulant sa
chanson contre la volonté de celle qui aurait voulu l'ancrer dans
l'ennui et la banalité.
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Grand
Jacques (c'est trop facile) CD1 / 2
-
Le style
exalté, pour ne pas dire boursouflé de plusieurs de ses premières
chansons lui valent des critiques sévères. Traduisant le sentiment de
ceux qui, encore aujourd'hui, sont restés allergiques à son style,
l'humoriste belge Stefan Liberski s'interroge : "Pourquoi les chansons
de Brel m'agacent-elles instantanément ? Je ne sais pas trop.
Peut-être parce qu'elles veulent tellement émouvoir. Rien de moins
séduisant que quelqu'un qui vous hurle à l'oreille Écoutez comme je
suis poétique ! Regardez comme je suis sensible !" Cette chanson,
outre qu'elle imposera à terme un surnom qui lui colle encore à la
peau, traduit la révolte du jeune Brel, à qui l'on dit Tais-toi
donc mais qui brûle de crier sa colère, suscitée notamment par
l'hypocrisie de l'église dont il supporte l'influence depuis son plus
jeune âge. Jacques ne va plus à la messe et s'il s'est marié devant
Dieu, c'est uniquement pour faire plaisir à papa-maman et ses
beaux-parents… Œuvre de jeunesse, elle offre des clés de lecture
essentielles pour la suite. Pour la petite histoire, en Belgique,
"faire le Jacques" est une vieille expression populaire signifiant
fanfaronner.
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Il pleut
"Les Carreaux" CD1 / 3
-
Dans le
premier numéro du "Grand Feu", Brel publiait déjà en mai 1947 un poème
verlainien intitulé "Pluie". Comment ne pas être inspiré par celle-ci
quand on vit en Belgique ? Accompagné au clavecin et hautbois par
André Grassi et son piètre orchestre, Brel – qui tuait le temps en
écrivant des chansons comme celle-ci, à la cartonnerie – dit son envie
de "casser les carreaux" de l'usine où il a gâché sa belle jeunesse.
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Le
Diable "Ça va" CD1 / 4
-
La
première interprète française de Brel se nomme Juliette Gréco, pour
qui il avait le plus grand respect (il la considérait comme "un mec",
énorme compliment dans la bouche de ce misogyne invétéré ; il lui
composera ensuite "Les Vieilles", 1964, et "Je suis bien", 1966). Mais
c'est dès 1954 qu'elle adopte ce "Diable" et l'enregistre sur un 45
tours Extended-Play qui paraît en 1954. Cinquante ans après la
création de cette chanson les antimondialistes ont un discours aussi
manichéen que le Brel de 1954, quand il chantait Les états se muent
en cachette / Les anonymes sociétés / Ça va / Les grands s'arrachent
les dollars / Venus du pays des enfants…
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Il peut
pleuvoir CD1 / 5
-
"Sans
Charles Trenet, nous serions tous des comptables" disait Brel : son
influence se sent sur ce titre entraînant (musique de Lou Logist,
alias Glen Powell) et gentiment daté, avec ses maniérismes (diction),
ses mots d'un autre âge ("J'ai ma mie auprès de moi") et son incurable
naïveté.
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Il nous
faut regarder CD1 / 6
-
À Paris,
Brel se fait des amis : Raymond Devos, Francis Lemarque et Georges
Brassens, qui l'encourage. Brel voudrait vient "placer" l'une ou
l'autre chanson auprès de Catherine Sauvage, superbe interprète de Léo
Ferré. Ils s'entendent bien (au point de devenir amants), mais
Catherine trouve ses chansons atroces, en particulier celles qui,
comme ici, ressemblent à des prêches. Ce qui ne semble pas embarrasser
Simone Langlois qui, encouragée par Canetti, consacrera un Extended-Play
à quatre titres de Brel, dont celui-ci, en 1958.
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Le Fou
du roi CD1 / 7
-
Ce titre
fait partie des 9 qu'interpréta la grande Barbara sur l'album "Barbara
chante Brel" (Odéon, 1961, avec aussi "Les Flamandes", "Seul", "Sur la
place", "Ne me quitte pas", etc.). Leurs chemins se croisèrent souvent
: il disait d'elle "Barbara a un grain, mais un beau grain…". Il lui
fit tourner son unique rôle au cinéma, celui de Léonie, dans "Franz".
En 1990, sur la scène du théâtre Mogador, dans une lettre chantée à
Brel, elle livrera publiquement son chagrin : Dors bien / Souvent
je pense à toi / Je signe Léonie / Toi qui sais qui je suis. Comme
pour "Le Troubadour", Brel imagine ici une saynète pseudo-médiévale
sur fond de clavecin, pleine de bons sentiments, qui s'achève – dans
le texte original, pas sur disque - sur une attaque maladroite envers
Gide et Cocteau et leurs histoires idiotes. Pour qui se
prend-il, ce p'tit gars ?
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C'est
comme ça CD1 / 8
-
Avec
"son cortège de banalités (Près des filles il y a des garçons,
sans oublier Les blondes qui dansent à la ronde)", "son refrain
d'un conformisme désolant" et "l'interprétation plate et sans humour"
ce titre ne fait pas partie des chansons plébiscitées par le
journaliste et biographe Jacques Vassal. Quand Brel chante en 1954
chez Patachou, raconte Marc Robine, il se fait siffler presque chaque
soir ; ses chansons passent mieux sur la Rive Gauche (à L'Écluse, à
l'Échelle de Jacob), où l'on imagine un public fauché et bohème, féru
de réalisme poétique, applaudissant des vers comme La ville avec
ses plaisirs vils / Qui pue l'essence d'automobile.
-
-
Sur la
place CD1 / 9 et CD1 / 15
-
"Elle
s'ouvre et se ferme grâce aux ondes Martenot, comme enclose dans un
mirage" écrivent France Brel et André Sallée à propos de cette
chanson, enregistrée à trois reprises : une première fois en 1953 à
Bruxelles, puis en 1954 avec des arrangements d'André Grassi, enfin en
1961 avec François Rauber et son orchestre. C'est de très loin la
meilleure chanson de cette première livraison. Elle figure sur un
Extended-Play (45 tours quatre titres) dont la sortie précède une
tournée d'été mise sur pied par Canetti, qu'il effectue en bas de
l'affiche (les vedettes se nomment Sidney Bechet, Philippe Clay et
Dario Moreno qui, 14 ans plus tard, sera Sancho Pança à Bruxelles, aux
côtés de Brel-Don Quichotte !). Malgré les conditions déplorables dans
lesquelles se déroulent ces tournées estivales, Brel est enthousiaste
: il a compris que la bataille qu'il doit livrer chaque soir pour
conquérir le public, le temps de deux ou trois chansons, est la
meilleure façon d'apprendre son métier ! Vingt-trois ans après "Sur la
place", Brel enregistrera "Je suis un soir d'été" : les deux chansons
se répondent avec une magnifique cohérence.
-
-
Octobre.
En tournée en Algérie, Jacques rencontre Georges Pasquier, de cinq ans
son aîné, qui se produit au sein des Trois Milson (bruiteurs et
imitateurs). Ils se revoient peu après aux Trois Baudets. Très vite,
les deux hommes deviennent intimes ; pour un gars comme Brel, qui
place l'amitié entre deux hommes bien au-delà de l'amour pour une
femme (pour mieux dissimuler son incapacité à assumer la
responsabilité de cet amour ?), la relation qui s'installe entre lui
et "Jojo" est vitale. Dès qu'il en a les moyens (en 1958), il l'engage
comme secrétaire, chauffeur, confident, garde du corps. Veuf de son
ami, avec qui il avait fait mille conneries, mille virées sublimes, il
lui dédiera en 1977, sur l'album "Les Marquises", l'une de ses plus
émouvantes chansons.
-
-
1955
-
-
8 au 13
janvier.
En première partie de Bobby Jaan, alias Bobbejaan, "le cow-boy
chantant" qui chante en flamand et en français, Brel se produit à
l'Ancienne Belgique, qui est à l'époque à Bruxelles ce que l'Olympia
est à Paris : le music-hall de référence. Cette fois, son père vient
l'applaudir.
-
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S'il te
faut CD1 / 10
-
Premier
titre enregistré avec Michel Legrand (23 ans) et ses musiciens (il y
aura ensuite "Qu'avons-nous fait, bonnes gens ?" et "Les Pieds dans le
ruisseau"). "S'il te faut" figura d'abord sur un E.P. 6 titres (!)
publié fin 1955 et ne fut jamais repris en album. Sur fond de marche
militaire, Brel joue au donneur de leçon et tutoie son interlocuteur :
S'il te faut des mots prononcés par des vieux / Pour te justifier
tous tes renoncements… S'adresse-t-il à son vieux père ? À moins
qu'il se donne à lui-même un avertissement ?
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-
Qu'avons-nous fait, bonnes gens ? CD2 / 2
-
Legrand
swingue, le Grand Jacques n'aime pas ça (il n'écoute que du classique,
très peu de chanson, pas de jazz), et il se lamente, comme l'aurait pu
faire un Saint-Exupéry (un de ses auteurs fétiches ; il avait adapté
son "Petit Prince" pour un spectacle de La Franche Cordée en 1949) de
ce que la bonté, l'amour, l'espoir et les joies profondes
semblent avoir déserté le monde.
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Les
Pieds dans le ruisseau CD2 / 3
-
Décidément, l'alchimie ne fonctionne pas avec Michel Legrand :
peut-être Brel pensait-il proposer cette chanson à Yves Montand, dont
il semble singer ici le style quand celui-ci s'alanguit. Oublions vite
dame libellule et l'onde jolie des carnets de poésie et
ne retenons que les deux derniers vers, sympathiques malgré leur
faiblesse : Penchant mon visage au-dessus de l'eau / Je vois mon
image, moi je vois l'idiot…
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-
La
Bastille CD1 / 11
-
Avec
André Popp et son orchestre, Brel mit en boîte une vingtaine de
chansons (jusqu'à "Voici", en avril 1958). Compositeur de nombreux
classiques de la variété, Popp est aussi l'auteur de "Piccolo Saxo et
Cie", initiation à la musique qui a séduit plusieurs générations
d'enfants depuis sa sortie initiale en 1956, de musiques de film et de
génériques pour la télévision (la musique des "Chiffres et des
Lettres", c'est lui !). L'ami Jojo, franchement à gauche (tendance
P.S.U.) n'aimait pas le texte de cette chanson et le fit savoir à Brel
dont l'éducation chrétienne semble ressurgir quand il chante On a
détruit la Bastille / Et ça n'a rien changé ou pire encore Mon
ami je crois / Que tout peut s'arranger / Sans cri sans effroi / Même
sans insulter les bourgeois. Ce que pourtant, il ne va pas tarder
à faire, et avec quelle jubilation !
-
-
1956
-
-
Quand on
n'a que l'amour CD2 / 1, CD2 / 11, CD6 / 14 (version en public à
l'Olympia) et et CD14 / 6
-
Maquettée le 14 mai 1956, Brel va mettre de longs mois à convaincre
Jacques Canetti et les responsables de Philips du potentiel de cette
chanson aujourd'hui considérée comme un classique de son répertoire.
Elle fut ensuite retravaillée en studio à trois reprises, la première
fois en 1956 avec l'orchestre d'André Popp, la deuxième en 1960 avec
celui de François Rauber et en stéréophonie, puis à nouveau en 1972
avec Rauber pour l'album que l'on qualifiera de "contractuel" (pour
Barclay, Brel réinterpréta une douzaine de ses chansons de ses années
Philips). On est en droit de préférer la version "live" (comme celle
de 1961, à l'irrésistible crescendo) de cet "hymne d'une génération",
comme l'a écrit un chroniqueur inspiré, qui lui avait permis de "voler
la vedette" à Philippe Clay dès 1958, à l'Olympia. Citée par Todd,
Catherine Sauvage était critique : "Tu chantes Quand on n'a que
l'amour à offrir aux canons… disait-elle à Brel. Le jour où tu me
montreras un mec qui va offrir de l'amour à un canon, je te paye des
prunes !". Pour le coup, elle se trompe lourdement : malgré cette
image maladroite, malgré un style carnet de poésie dont il a du mal à
se départir (raison pour laquelle elle rencontre un tel écho, depuis
cinq décennies, auprès des ados amoureux et pacifistes ?), la chanson
fait mouche et devient son premier authentique succès. D'autant
qu'elle entre en résonance avec l'actualité : au moment de sa
publication, les chars soviétiques envahissent Budapest et répriment
violemment le "socialisme à visage humain" tel qu'il se pratique en
Hongrie, faisant des milliers de victimes.
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Prière
païenne CD1 / 12
-
En 1953,
dans "Tous les enfants du roi", il s'adressait à la Madone pour lui
avouer qu'il avait perdu la foi. Il semble l'avoir retrouvée dans
cette chanson qu'auraient pu interpréter le Père Duval et Sœur
Sourire, les fameux enfroqués chantants qui savourèrent leur quart
d'heure de gloire terrestre à la charnière des années 50 et 60.
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Saint
Pierre CD2 / 7
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Hormis
la trouvaille du refrain (Effeuillons l'aile d'un ange / Pour voir
si elle pense à moi) cette histoire de bon Saint Pierre amoureux
d'une étoile, qui aurait sa place sur un disque pour enfants, laissera
indifférent le cœur des mécréants…
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Les Blés
CD2 / 10
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Anachronisme : cette chanson aurait pu sortir telle quelle, chantée
par André Dassary, en 1942, sous Pétain. Ou, si l'on est charitable,
cinq ans plus tôt, par le Trenet de "Y'a d'la joie". On sent encore
l'influence de la gauche chrétienne, proche du petit peuple. Brel se
cherche : il trouvera l'or dans d'autres chansons "paysannes" comme
"Ces gens-là" et "Regarde bien petit".
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Dites,
si c'était vrai (poème) CD3 / 13 et CD3 / 7
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Ce court
poème, couché sur bande une première fois en 1956, est retravaillé
pour son troisième album en 1958. Les cinq titres enregistrés à la
mi-septembre 1956 figurent sur son troisième E.P. qui paraît en fin
d'année, d'où le contenu très "santons de Noël" de celui-ci, même si,
en filigrane, Brel nous confirme qu'il a perdu la foi
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23
juillet.
Brel rejoint les artistes de la tournée d'été des Trois Baudets à
Grenoble, avec entre autres Nicole Louvier, les Trois Ménestrels. Le
pianiste d'accompagnement se nomme François Rauber, né en 1933. Début
d'une indéfectible amitié. Évolution radicale : Rauber encouragera
Brel à laisser tomber la guitare, en particulier sur scène, où elle se
révèle encombrante. Brel le vit comme une libération, tandis que le
pianiste enrichit considérablement la palette harmonique de ses
chansons.
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1957
-
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Pardons
CD2 / 4
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Cinq
titres sont mis en boîte le 22 mars 1957. Avec ceux de l'année
précédente, ils vont constituer la matière de son deuxième album 25
centimètres, qui paraît deux ans après le premier, dont les ventes
avaient été catastrophiques. Menant la vie d'aventurier, de chercheur
d'or dont il a toujours rêvé, Brel a découvert sur la route
interminable de ses tournées une liberté dont il use et abuse. Futur
champion de l'infidélité (il n'est encore que débutant : il semble que
ce soit son aventure avec Catherine Sauvage qui soit à l'origine de
cette chanson), à des centaines ou milliers de kilomètres de sa femme
et de ses filles, Brel est parfois saisi de remords qui, comme les
serments de la chanson, meurent au petit jour…
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La
Bourrée du célibataire CD2 / 5
-
C'est
avec ce titre que Brel débutait son récital de sept chansons au
théâtre des Trois Baudets à l'automne 1957 ; en toute logique,
celui-ci s'achevait avec "Quand on n'a que l'amour"… L'humour paysan
est à la mode dans les cabarets (Pierre Richard, Jacques Dufilho,
Fernand Reynaud) : comme chacun sait, les péquenots dansent la bourrée
et prennent des libertés avec la langue française ("La fille que
j'aimerons"). À classer dans la catégorie "exercices de style".
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L'Air de
la bêtise CD2 / 6
-
Les
ventes du deuxième 25 centimètres le montrent : le phénomène Brel est
en marche. Il ne viendrait plus cette fois à un critique parisien
l'idée de suggérer (dans France Soir) qu'il existe d'excellents trains
pour Bruxelles… Avec brio, notre héros s'attaque à l'opéra, un genre
qu'il adore. Le donneur de leçon des années précédentes a pris de la
distance : la bêtise fustigée chez les autres, il se sait capable d'y
succomber à son tour. Ne dit-il pas qu'il en croise le regard,
certains soirs, au fond de son miroir ?
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J'en
appelle CD2 / 8
-
Tout
doucement, comme l'écrit Robine, le vilain petit canard se
métamorphose en cygne royal. Le souffle épique de ses futures chefs
d'œuvre est contenu en germe dans des chansons comme celle-ci, où Brel
nous parle de lui quand il évoque Le désir incroyable de se vouloir
construire…
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Heureux
CD2 / 9
-
Le
deuxième album 25 centimètres, primé par l'Académie Charles Cros en
mars 1957, va s'écouler à 10.000 exemplaires, un chiffre très correct
pour l'époque et dix fois supérieur aux ventes du premier ! On sent
pourtant que Brel doit encore resserrer son propos : il s'égare
parfois dans les limbes d'un humanisme pesant (l'orchestration ne
l'aide pas) au crescendo téléphoné mais qui eut l'heur de plaire à sa
fille France qui la préféra longtemps à toutes les autres.
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1958
-
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Demain
l'on se marie (la chanson des fiancés) CD3 / 1
-
Rien à
voir avec le tragi-comique "Demain tu te maries" de Patricia Carli
(tube énorme en 1963) : toujours accompagné par André Popp et son
orchestre, mais plus pour longtemps, en ce mois de mars 1958, Brel
joue le rôle d'un fiancé partagé entre enthousiasme et résignation.
Sans trop y croire apparemment : le ton de sa voix, donnant la
réplique à Janine de Waleyne, frôle l'indifférence. Drôle d'idée que
de reprendre cette œuvre de jeunesse (écrite pour Miche) à l'aube de
la trentaine, alors qu'il est déjà marié depuis 8 ans et que sa femme
attend leur troisième enfant…
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Au
printemps CD3 / 2
-
Longtemps, les radios françaises diffusèrent ce titre chaque 21 mars…
Créée par Simone Langlois début 1958, tout comme "Je ne sais pas",
cette valse fleur bleue nous montre, d'après Jacques Vassal, "combien
Brel est en train de progresser vocalement", en particulier l'envolée
des derniers couplets.
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Je ne
sais pas CD3 / 3 et et CD14 / 11
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De
l'avis général, le 3ème album 25 centimètres, sorti le 3
juin 1958, est un disque de transition. Brel a rencontré les hommes
qui vont accélérer sa métamorphose : Jojo et Rauber. Mais il doit
encore se débarrasser des tics accumulés depuis ses débuts à la Rose
Noire. Sa maîtresse Suzanne Gabriello (du trio Les Filles à Papa) ne
se gêne pas pour le lui dire : "Les prêtres-ouvriers, on en a ras la
frange !". La pluie, une femme qui s'en va, les cathédrales, ce train
pour Amsterdam (déjà !), on dirait un brouillon de "Ne me quitte pas".
Brel se sait trompé (Un couple dont tu es la femme) et il
n'aime pas ça…
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Le
Colonel CD3 / 4
Comme le rappellent André Sallée et France Brel dans leur "Brel" aux
éditions Solar, ce n'est pas un hasard si l'on croise un apothicaire,
mort dans la bataille. Pour une raison inexpliquée, Brel détestait les
pharmaciens, qui symbolisaient pour lui ces hommes immobiles,
pétrifiés derrière leurs petits comptoirs mesquins. Quant aux
"pandours" du premier couplet, il ne s'agit pas d'un néologisme
brélien mais d'un "soldat hongrois de certains corps irréguliers" dont
on trouvait autrefois la définition dans les dictionnaires.
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Dors ma
mie, bonsoir CD3 / 5
-
Quand il
parle à sa mie, Brel s'adresse à Miche, sa femme. Une tentative peu
concluante avait été faite de vivre à nouveau sous le même toit, en
banlieue parisienne cette fois, mais dans un inconfort mal vécu par la
mère de ses deux filles (bientôt trois). Miche est à Bruxelles et Brel
est toujours en partance, entre deux tournées, entre deux maîtresses.
Des infidélités assumées par l'un, acceptées (tolérées ?) par l'autre.
Au final, la décision de l'auteur est prise : Dors ma mie, je pars…
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La
Lumière jaillira CD3 / 6
-
"Brel
hésite au bord d'un christianisme délavé", écrit Todd à propos de
cette chanson secondaire enregistrée dans un temple. Le côté
prêtre-ouvrier de Brel – accompagné par des orgues d'église - en
hérisse plus d'un, mais il plaît à son mentor Hector Bruyndonckx qui
apprécie, au premier degré, ses "sermons chantés". Sa fille France
précise : "Brel avait horreur de l'obscurité. Pour lui, il faisait
toujours trop noir. Il laissait tout allumé, quand il quittait une
maison, où il n'y avait jamais assez de lampes, malgré le soin qu'il
prenait personnellement à en installer partout".
-
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L'Homme
dans la cité CD3 / 8
-
Pour la
première fois, en ce 1er avril 1958, Brel est accompagné
par François Rauber, qui va devenir, avec Gérard Jouannest, son plus
fidèle complice musical, jusqu'aux "Marquises". Quatre titres sont
enregistrés avec Rauber ce jour-là dont cette étrange prière-boléro
qui oscille entre essai politique et attente d'un Sauveur improbable,
ceci deux mois avant que de Gaulle prenne le pouvoir, tandis que la
guerre d'Algérie (qui ne dit pas son nom) fait chaque jour d'autres
victimes.
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Litanies
pour un retour CD3 / 9
-
Écriture
originale : sur un air de valse lente, Brel réunit un joli bouquet de
noms, tous précédés de l'article possessif : Ma voile ma vague mon
guide ma voie / Mon sang ma force ma fièvre mon moi… Le seul verbe
apparaît au dernier vers : Voilà que tu reviens, qui semble
répondre à "Je ne sais pas"…
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Voici
CD3 / 10
-
Dans le
premier livre consacré à Brel, dans la collection "Poètes
d'Aujourd'hui" des éditions Seghers (publié en 1964, après Brassens et
Ferré), Jean Clouzet écrivait ceci : "Une composition comme "Voici"
n'est pas, aux yeux de son auteur, une véritable chanson, car,
prétend-il, le texte a été sacrifié à un parti pris de musicalité.
C'est plutôt une expérience. Celle qui a consisté à placer des
"paroles" sur un fugato d'orgue, entreprise que, à notre connaissance,
personne n'avait songé à réaliser auparavant".
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-
Voir CD3
/ 11
-
Accompagné par Rauber et les chœurs "la Joie au Village", en octobre
1958, Brel chante une fois de plus sa foi en l'amour sur ce titre
inclus (comme "L'Aventure") sur un Extended-Play qui paraît en fin
d'année et qui semble anticiper, musicalement, "Le Plat Pays". Pour la
plus grande joie de son auteur, Yves Montand se l'approprie bientôt.
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L'Aventure CD3 / 12
-
Chaque
jour amène son aventure, nous chante le scout Phoque hilarant, avec sa
chorale et son forgeron qui bat la mesure. Un autre exercice de style
? Au contraire de Brassens, dont le style est déjà parfaitement abouti
dès son premier disque, "Brel mettra plus de cinq ans à mûrir, comme
l'écrit Robine, accumulant les maladresses, les chansons médiocres,
les images grandiloquentes et le prêchi-prêcha verbeux, le tout
entrecoupé, de loin en loin, d'éclairs fulgurants et précieux".
-
- En octobre, Brel
enregistre deux textes pour un disque de Noël publié en partenariat
avec le magazine Marie-Claire ("Un soir à Bethléem avec Jacques Brel")
: "Je prendrai", un poème (original) d'introduction à la Nativité, et
un extrait de l'Évangile selon Saint-Luc. L'image de l'"abbé Brel" (le
surnom que lui avait donné Brassens) lui colle encore à la peau !
-
-
1959
-
-
Mars.
Jacques Canetti, qui dirige l'agence d'artistes Radio-Programme, lance
son spectacle Opus 109 sur les routes de France. C'est ainsi, du 3 au
24 mars, que Jacques Brel (en vedette, accompagné au piano par Gérard
Jouannest), Ricet Barrier, Serge Gainsbourg, les Cinq Pères et Simone
Langlois s'en vont affronter la France profonde. Gainsbourg raconte :
"Canetti était un véritable négrier. Lors de cette tournée avec Brel
dans les villes de province, on arrivait dans les salles des fêtes
avec des pianos pourris, il n'y avait pas de sono bien sûr, il fallait
se démerder avec ça. Parfois, entre les étapes, Brel me prenait dans
sa bagnole, une Pontiac décapotable, et il fonçait à 150 à l'heure.
Notre grand jeu consistait alors à nous cracher à la gueule..." Serge
est à l'époque très épris de Sylvie Rivet, ex-attachée de presse de la
maison Philips, qui le quittera bientôt pour Brel. De Toulouse, le 24
mars, Serge écrit à Sylvie : "Il est maintenant 6 heures et je viens
de rentrer, on a traîné avec Brel ! Je suis content je vais dormir et
rester tout seul dans cette chambre. (...) Brel vient de repartir en
emportant ses amitiés, ses litanies et ses guitares de bonne volonté,
je vais me retrouver seul mais quelle turbulence, quel charmant
garçon..."
-
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La Valse
à mille temps CD4 / 1, CD6 / 12 (version en public à l'Olympia) et
CD14 / 10
-
Enregistrée, comme les neuf chansons suivantes, en septembre 1959, "La
Valse à mille temps" est typique de la méthode Brel : commencer
une chanson en douceur, la terminer en ouragan… Inspirée par la
campagne publicitaire "Suivez le boeuf", Jean Poiret fit de ce
classique une parodie hilarante, "La Vache à 1.000 francs", que Brel
cite à son tour dans l'enregistrement "live" à l'Olympia. Titre phare
de son 4ème album 25 centimètres (récompensé cette fois par
un Grand Prix Francis Carco de l'Académie du Disque 1960, trois ans
après l'Académie Charles Cros), cette prodigieuse "Valse à mille
temps" aurait été inspirée par un air entendu dans un taxi, en Afrique
du Nord. Énorme "tube" ("saucisson", aurait dit Boris Vian) dès sa
sortie, il va en écouler plus de 500.000 exemplaires
-
-
Seul CD4
/ 2
-
Brel
vivait dans une valise. Toujours sur les routes ("J'ai à mon compteur
personnel 4 millions de kilomètres de tournées, de cabarets, de
casinos…", disait-il), il se retrouve seul, dans sa chambre, au petit
matin. Il s'est donc aménagé un petit bureau pliant, qui tient dans le
coffre de sa voiture, un pupitre devant lequel il travaille debout les
textes de ses chansons, les idées qu'il note durant les trajets
interminables, ou dans sa loge avant le spectacle. Tous les témoins le
confirment : il ne s'arrêtait jamais. Entre crescendo et decrescendo,
"entre tension et détente, entre excitation et apaisement" (Clouzet)
ce texte superbe traduit sa lucidité et son désespoir : face à la
mort, on est toujours tout seul.
-
-
La Dame
patronnesse CD4 / 3
-
Avec son
4ème album, Brel devient un authentique chanteur populaire
: ce qui était déjà palpable chaque soir de ses interminables tournées
en vedette est désormais une réalité. Il s'attaque ici à l'hypocrisie
des calotins, qu'il connaît par cœur, il a grandi dedans : en 1953
déjà, dans "Les Gens", il chantait Les gens qui ont bonne
conscience / Dans les rues le soir / Les gens qui ont bonne conscience
/ Ont souvent mauvaise mémoire. Les dames patronnesses qui
éliminent de leur charité une égarée qui fréquente un socialiste
ont droit à ses sarcasmes cinglants.
-
-
Je
t'aime CD4 / 4
-
Les
trois premiers albums n'étaient que des esquisses. Brel a grandi en
public: "lorsqu'il débute aux Trois Baudets, son expérience de la vie
est à peu près aussi réduite que son expérience de chanteur" écrit
Robine qui est convaincu que son œuvre véritable ne commence qu'avec
son quatrième 25 centimètres. Celui-ci, on le voit, contient trois
pièces maîtresses ("Ne me quitte pas", "La Colombe", "La Valse à mille
temps") et cette déclaration émouvante qui aurait pu verser dans le
pompiérisme mais l'évite avec élégance.
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Ne me
quitte pas CD4 / 5, CD5 / 11 (version flamande), CD6 / 13 (version en
public à l'Olympia) et CD14 / 1
-
Initialement placée sur le même E.P. que "La Valse à mille temps", la
chanson (également interprétée au même moment par Simone Langlois)
ressort peu de temps après à la place qu'elle mérite : en titre
vedette d'un autre super-45 tours. Dans l'intervalle, l'écho
phénoménal qu'elle suscite convainc son auteur de l'importance de
cette complainte "d'un homme lâche", cette "histoire d'un con et d'un
raté" (comme il le dira lui-même) ; la chanteuse et fantaisiste
Suzanne Gabriello – l'une des multiples compagnes de Brel, avec qui il
eut une longue liaison – n'a jamais cessé d'affirmer que la chanson
avait été écrite pour elle, en l'occurrence lors d'une tournée en
juillet 1958, dans une fête foraine à Bordeaux. Élue "chanson d'amour
du siècle" par les lecteurs d'un grand quotidien, en 1999, "Ne me
quitte pas" est devenue, sous son titre anglais, "If You Go Away", un
standard de la variété internationale (radiodiffusé plus d'un million
de fois rien qu'aux États-Unis comme l'atteste un diplôme décerné à
Brel de son vivant). Pas de chance pour Gérard Jouannest, co-auteur de
la mélodie, qui n'est pas crédité comme tel, parce qu'à l'époque du
dépôt de la chanson à la S.A.C.E.M. (Société des Auteurs, Compositeurs
et Éditeurs de Musique) il n'y était pas encore inscrit ! Quant au
hululement glacial d'un vent tragique qui souffle sur la version
originale, on le doit à un instrument très particulier appelé ondes
Martenot, considéré depuis comme un ancêtre du synthétiseur.
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Les
Flamandes CD4 / 6, CD6 / 4 (version en public à l'Olympia) et CD14 / 4
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On a du
mal à croire que cette chanson faillit s'intituler "Les Bretonnes"
(authentique). Sur l'Extended-Play d'origine, un portrait de Brel
figurait en surimpression d'un détail de la "Danse du mariage",
célèbre toile de Pieter Bruegel l'Ancien, peinte en 1566. Mais les
Flamandes de Brel sont moins délurées : écrasées par l'influence de
l'église, paralysée par le conformisme, elles se soucient du qu'en
dira-t-on, elles dansent sans joie, pour la galerie, pour
l'archiprêtre qui radote au couvent. "J'ai voulu faire un petit
croquis, confie Brel à un journaliste de la télévision belge. Je n'ai
jamais voulu mettre là-dedans de l'hostilité… C'est une forme
d'humour… Une caricature, un petit dessin de Forain".
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Isabelle
CD4 / 7
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Isabelle, troisième fille de Brel et Miche, a droit pour son premier
anniversaire à sa chanson, une ravissante berceuse mise en musique par
son parrain, François Rauber. Secrètement, on peut imaginer que Brel
rêvait d'avoir un garçon (il l'aurait sans doute prénommé Frédéric).
Au lieu de ça, trois filles avec lesquelles, au passage de
l'adolescence, puis de l'âge adulte, il eut des disputes mémorables,
des silences encore plus terribles. France, "celle du milieu", fut
sérieusement malmenée. Ce qui ne l'empêche pas de s'occuper depuis des
années de la Fondation Internationale Jacques Brel
(www.jacquesbrel.be)
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La Mort
CD4 / 8
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À 31 ans
seulement, la mort l'obsède, il y reviendra souvent mais n'ose pas
encore s'en moquer comme il le fera dans "Le Moribond" ou "Le Tango
funèbre" (Est-ce qu'il est encore chaud, est-ce qu'il est déjà
froid ? , etc.). Pour cette mort qui l'attend dans les lilas
il éprouve une sorte de romantisme morbide ; l'influence de Brassens,
qui avait fait de la Camarde l'un des sujets de prédilection et dont
il riait pour mieux l'apprivoiser, est sans doute passée par là…
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La
Tendresse CD4 / 9
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Étrange
: Brel, homme de passion, capable de s'enflammer pour une femme,
menant souvent une double, voire une triple vie sentimentale, semble
lui préférer l'eau tiède de la tendresse, ce sentiment qui vient
dit-on après l'amour. Mais il est aussi question de la
tendresse entre deux hommes qui s'aiment d'amitié. "J'ai l'impression
d'être né tendre, déclarera Brel en 1964. Je crois que ce que
j'appelle l'amour dans mes chansons est, en réalité, de la tendresse".
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La
Colombe CD4 / 10
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Nous
sommes en pleine Guerre d'Algérie. Brel, qui en tant que Belge ne se
mêle pas de la politique française, soutient Pierre Mendès France, cet
homme intègre et vrai qui avait eu le courage de mettre un terme à la
guerre d'Indochine puis qui avait démissionné à cause du conflit en
Algérie, parce qu'il désapprouvait la politique du gouvernement dont
il était ministre d'État. Comme Mendès, Brel pose les bonnes
questions, il souffre, il sait que la guerre n'est jamais la solution
: elle lui a pourri son enfance, comment pourrait-il en être autrement
? "La Colombe", traduite et chantée par les folksingers américains,
comme le rapporte Marc Robine, deviendra, par les voix de Judy Collins
ou Joan Baez, un hymne au moment des grandes manifestations contre la
guerre au Viêt-nam.
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Dès le 5
novembre.
Brel passe enfin en vedette à Bobino, salle parisienne prestigieuse où
il s'est déjà produit plusieurs fois depuis 1955. Cette fois, le
succès est au rendez-vous.
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1961
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Marieke
CD5 / 1, CD5 / 10 (version flamande), CD6 / 7 (version en public à
l'Olympia) et CD14 / 2
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Parmi
les chansons magiques de son 5ème album 25 centimètres,
publié au printemps, on trouve cette "Marieke" bilingue, rare exemple
de chanson au couplets français et aux refrains flamands : comme le
racontent André Sallée et France Brel, ces derniers sont bourrés de
fautes, que Guy Bruyndonckx, fils d'Hector, tente de corriger, mais en
vain. Les Belges, en tout cas, comprennent le sens général. Aux
Français, on dira en résumé qu'il est question d'un "vent stupide",
d'un "diable noir", de "sombre lumière" et de "cœur qui brûle"…
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Le
Moribond CD5 / 2, CD6 / 14 (version en public à l'Olympia) et CD14 / 9
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Une
chanson joyeuse sur un sujet terrible : sur son lit de mort, Brel
remercie tous ceux qui prendront soin de sa femme, dès qu'il aura
passé l'arme à gauche. Cocu magnifique, il ferme les yeux une fois
encore, la dernière, sur les frasques de l'infidèle et de son Antoine
plus solide que l'ennui. Sous le titre "Seasons In The Sun" la
chanson deviendra un succès international, interprétée par Terry Jacks
(voir ci-dessous "Les Amants de cœur").
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Vivre
debout CD5 / 3
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Avec
Barthélémy Rosso à la guitare, accompagnateur attitré de Léo Ferré
(et, occasionnellement, de Brassens), Brel reprend un thème déjà
exploré, y compris dans deux de ses premières chansons : "À deux" (Je
pourrai lever le monde / Avant que le monde m'ait couché) et "Le
Troubadour" (J'aurais voulu lever le monde / Mais c'est le monde
qui m'a couché). Cette fois l'on se couche pour la moindre
amourette ou dès que souffle le vent, on ploie sous le fardeau de nos
croix illusoires, on se crée des obstacles pour excuser notre
lâcheté. Texte splendide qui inspirera à un chroniqueur inspiré du
quotidien "Combat" cette phrase enthousiaste : "Jacques Brel a la
beauté impitoyable et cruelle de ceux qui ne pardonnent pas au monde
de s'accepter".
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On
n'oublie rien CD5 / 4, CD5 / 13 (version flamande) et et CD14 / 3
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Créée
l'année d'avant par Juliette Gréco (sur l'album "N° 7"), il ne s'agit
pas, on l'a vu, de la première chanson où la mort est évoquée. Sauf
qu'ici, Brel se livre (sur une musique de Jouannest, crédité pour la
première fois) avec une étonnante franchise : les bars sont des
attrape-cafard / Où l'on attend le matin gris / Au cinéma de son
whisky ; les bras des femmes d'une nuit sont des colliers que
l'on dénoue au petit jour / Par des promesses de retour. Tiraillé
par les remords (bonne vieille culpabilité judéo-chrétienne), il les
chasse d'un revers de la main, d'une formule géniale : On n'oublie
rien de rien / On s'habitue c'est tout…
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Clara
CD5 / 5
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Tentative pseudo-exotique (le rythme festif, à cinq temps, façon
carnaval à Rio) pour un texte désespérant à classer discrètement dans
le dossier des chansons ratées…
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Le
Prochain Amour CD5 / 6, CD5 / 14 et et CD14 / 8
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Eh oui,
ça fait du bien d'être amoureux… Brel, qui aimait les femmes
sans pouvoir répondre à leurs attentes (était-ce pour cela qu'il était
devenu saltimbanque, pour cet appétit de liberté jamais rassasié ?),
savait la défaite inévitable. Quitté par Suzanne Gabriello, amoureux
de Sylvie Rivet mais pas du tout disposé à divorcer de Miche, ce
centre de gravité autour duquel il tourne comme un derviche, il se
délecte de situations inextricables (après tout, s'il en avait
vraiment souffert, un homme aussi déterminé que lui aurait trouvé une
issue à ses amours impossibles).
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L'Ivrogne CD5 / 7 et CD6 / 11 (version en public à l'Olympia)
-
"Sur
scène comme sur disque, écrit Patrick Roegiers, Brel braille, brame,
aboie, feule, piaule, ulule, bêle, ronronne, tout comme il gesticule,
sautille, en fait des tonnes, sue, beugle, pleure, se déchaîne, se
brise, repart, par vagues, par salves, comme une houle, une tempête,
un ouragan". Il lui arrivait de choisir les thèmes de ses chansons
pour le jeu qu'elles lui permettraient sur scène. "L'Ivrogne" est de
celles-là : on est en droit de préférer la version live. Sans oublier
qu'il était un sérieux picoleur, brûlant ses nuits à refaire le monde,
à discutailler, épuisant ses proches, les saoulant de mots et de
bière, jusqu'au petit matin. Mais lui arrivait-il d'avoir l'alcool
aussi triste, aussi désespéré que celui de son "Ivrogne" qui, sur fond
de cymbalum et d'accordéon gémissant, veut que l'on boive à la putain
qui lui a tordu le cœur ? Et que pensait Sylvie, sa compagne
parisienne, des vers Buvons nuit après nuit / Puisque je serai trop
laid / pour la moindre Sylvie ?
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Les
Prénoms de Paris CD5 / 8, CD6 / 1 (version en public à l'Olympia) et
et CD14 / 5
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Les
Belges francophones ont à l'égard de Paris et des Parisiens un mélange
de fascination et de haine qui n'a rien à voir avec la méfiance
naturelle du Français de province. On ne réussit pas à Bruxelles :
arrivé à un certain point (de célébrité, de reconnaissance), on
piétine. L'étape suivante c'est forcément cette ville avec laquelle,
culturellement, on se sent si peu de choses en commun. Il faut d'abord
composer avec l'agressivité, l'arrogance, la moquerie (et encore, Brel
n'a pas souffert des "blagues belges" popularisées plus tard par
Coluche). Et paradoxalement, il faut supporter l'absence d'humour et
de recul des Parisiens, tandis que l'autodérision semble inscrite dans
les gênes des "voisins du Nord". En parallèle, comment ne pas tomber
éperdument amoureux de la Ville Lumière, comment ne pas succomber au
charme des Parisiennes ?
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Les
Singes CD5 / 9, CD5 / 12 (version flamande) et CD6 / 10 (version en
public à l'Olympia)
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"Le
Colonel", "La Dame patronnesse", "Les Flamandes", "L'Ivrogne" : la
galerie de portrait s'enrichit avec "Les Singes", non pas ceux que
nous étions, mais les singes civilisés, ceux qui ont inventé
prisons et condamnés, le fer à empaler / Et la chambre à gaz et
la chaise électrique. Pour le plaisir de la prouesse vocale (dont
il est coutumier depuis "La Valse à mille temps", Brel s'amuse aussi
de La chasse aux singes sages qui n'aiment pas chasser, phrase
impossible qui même en public ne lui fait pas peur !
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Les
Bourgeois CD6 / 2 (enregistrement public à l'Olympia 1961), CD7 / 1
(version studio), CD9 / 12 (version en public à l'Olympia 1964) et
CD10 / 13 (version flamande)
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À qui
pensait Brel en écrivant cette chanson, créée sur la scène de
l'Olympia ? À son père, à sa propre famille ? Ou plutôt aux Vanneste,
les associés (et principaux actionnaires) de Romain dans la
cartonnerie où Brel travailla cinq ans ? C'est plus vraisemblable :
ces derniers, catholiques fervents, monarchistes convaincus,
conformistes à l'extrême, ressemblent étrangement, par le portrait
qu'en font les biographes, aux Belges grossiers, prudes et obtus
vilipendés par Baudelaire dans "Pauvre Belgique". Le couplet Les
Bourgeois, c'est comme les cochons… fait partie depuis des lustres
du répertoire des chansons de guindaille vociférés par les étudiants
libres-penseurs bruxellois, qui l'adoptèrent instantanément (avant de
devenir eux-mêmes des salauds de riches, sans doute, comme dans la
chanson…). L'ami Jojo, qui se prenait pour Voltaire, est
évidemment Georges Pasquier. En filigrane, un aveu touchant : Moi
qui étais le plus fier /Moi, je me prenais pour moi. Pour être
artiste, surtout ce de niveau, il faut être totalement égocentrique,
comme chacun sait : Brel avait au moins la décence d'en être
conscient.
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Les
Paumés du petit matin CD6 / 3 (enregistrement public à l'Olympia),
CD7 / 2 (version studio) et CD10 / 14 (version flamande)
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Le
premier album "Live" de Brel à l'Olympia est enregistré lors des
soirées du 27, 28 et 29 octobre (son spectacle suit,
chronologiquement, celui de Johnny Hallyday ; Brel remplace au pied
levé Marlène Dietrich, souffrante) ; il va lui permettre d'imposer
définitivement son statut de vedette et de bête de scène. Depuis son
passage à l'Alhambra (1957, avec Zizi Jeanmaire et Michel Legrand) et
surtout depuis son triomphe de novembre / décembre 1958 dans le
music-hall du boulevard des Capucines, en américaine de Philippe Clay
(qui souffrit beaucoup de devoir le suivre), Jacques a gravi tous les
échelons de la célébrité sur les scènes parisiennes. En tête d'affiche
cette fois, il fait le plein du 12 octobre au 1er novembre
; en coulisse, avant d'affronter le public, il soulage le trac qui le
convulse en vomissant tripes et boyaux. "Les Paumés du petit matin",
il les connaît bien, il en fait parfois partie et les a bien observés
pour en rendre un tableau aussi saisissant de vérité.
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La
Statue CD6 / 5 (enregistrement public à l'Olympia) et CD7 / 11
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En
tournée, Brel est désormais soutenu par un groupe de musiciens soudés,
dont le noyau est constitué par Gérard Jouannest (piano) et Jean Corti
(accordéon). À Paris, ceux-ci sont soutenus par François Rauber
(piano) et par l'orchestre de l'Olympia dirigé par Daniel Janin. Dans
cet exercice d'autodérision, il déboulonne sa propre statue : à ceux
qui voient encore en lui un chantre de la chanson chrétienne, il prend
soin de préciser qu'il n'a jamais prié Dieu que lorsqu'il avait mal
aux dents. Du vécu, à n'en pas douter : il était sujet aux rages de
dents qu'il ne soignait pas, ou mal, lors de ses années de dèche !
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Zangra
CD6 / 6 (enregistrement public à l'Olympia) et CD7 / 4
- Dans le roman "Le
Désert des Tartares" de l'écrivain italien Dino Buzzati, l'officier se
nomme Drogo et le fort est celui de Bastiani. Fasciné par le mirage de
la gloire militaire, il use sa vie dans l'attente d'une guerre
improbable. Chez Brel, qui s'inspirait rarement d'autre chose que de
sa propre vie, le personnage s'appelle Zangra, lieutenant au fort de
Belonzio…
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Les
Biches CD6 / 8 (enregistrement public à l'Olympia), CD7 / 9 et CD14 /
7
-
Tous
ceux qui l'ont applaudi vous l'expliqueront : Brel jouait ses
chansons, il imaginait pour chacune d'elles une gestuelle, une mise en
scène. À tel point qu'il suffit de passer en revue les photos prises
durant un spectacle pour savoir quelle chanson il interprétait. Le
coffret de trois DVD qui paraît à l'occasion du 25ème
anniversaire de sa disparition donne une idée très précise de cette
théâtralisation qui était à l'opposé de la froide mécanique élaborée
par Yves Montand lors de ses one-man shows. Pourtant, tout
était répété et réglé au millimètre, non pas devant un miroir mais
face au public, au fil de ses 300 dates annuelles (avec souvent deux
représentations, en matinée et soirée). Ainsi ces "Biches" où certains
ont vu, comme l'écrit Vassal, "la preuve de la misogynie de Brel. Mais
ont-ils bien lu et entendu le texte, qui fustige Les biches / Qui
trichent, non seulement avec les hommes mais avec elles-mêmes ?
(…) Et cela, Brel ne le pardonne pas !"
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Madeleine CD6 / 3 (enregistrement public à l'Olympia 1961), CD7 / 6
(version studio) et CD9 / 15 (version en public à l'Olympia 1964)
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Également créée sur la scène de l'Olympia, "Madeleine" fut la première
chanson du répertoire brélien interprétée en anglais par le
bouleversant Scott Walker (qui en 1967 donna également une version
bouleversante de "Amsterdam" puis s'employa, au fil de ses albums, à
faire découvrir d'autres titres de son chanteur préféré tels que "Au
suivant", "Tango funèbre", "La chanson de Jacky", etc.). Le personnage
qu'il interprète est déchirant et ridicule à la fois : l'amoureux à
qui Madeleine pose un lapin, soir après soir (Même qu'elle est trop
bien pour moi), nous le portons tous (et toutes) dans nos
souvenirs. Et puis il y a le tram trente-trois, et les frites chez
Eugène (qui a vraiment existé), et Mon Amérique à moi, et
l'odeur des lilas : on en vient à envier les gamins qui découvrent
aujourd'hui cette chanson qui fait tellement partie de nos vies qu'on
la croit gravée dans notre subconscient !
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1962
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7 mars.
Après huit ans chez Philips, Brel signe avec le concurrent Eddie
Barclay "un contrat fracassant" (pour ses mariages – qu'il s'agisse de
ses femmes ou de ses artistes – Eddie a toujours eu le sens de la
promotion). Meilleures conditions financières, meilleurs studios de
Paris, Brel est aussi séduit par le personnage, charmeur et
flamboyant, comme l'avait été Ferré, un an plus tôt. À Miche, sa
femme, il a la clairvoyance de confier la gestion de ses éditions
musicales, principale source de revenus d'un auteur-compositeur de
cette trempe. Comme raison sociale, ils choisissent Pouchenel
("Polichinelle", en Belge). Ironie de l'histoire : Barclay finit par
vendre son label, pour une somme colossale, en 1978 (l'année de la
mort de Brel), à Polygram, déjà propriétaire de Philips (et futur
Vivendi-Universal, mais c'est une autre histoire)…
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Le Plat
Pays CD7 / 3, CD9 / 8 (version en public à l'Olympia) et CD10 / 11
(version flamande)
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Enregistrée entre le 6 et le 14 mars 1962, comme les 11 autres
chansons de son 7ème album, "Le Plat Pays" a tellement
marqué les esprits que les journalistes craignant les répétitions (de
ces agaçants qui disent "cité phocéenne" pour Marseille) l'utilisent
pour qualifier la Belgique toute entière, alors qu'il est seulement et
clairement question de la Flandre ("Mijn Vlakke Land", chantera-t-il
en flamand, en optant pour le possessif : "mon" plat pays !). Pour
comprendre parfaitement de quoi il parle, promenez-vous un jour
d'automne brumeux le long du canal, entre Damme et Bruges, ou sur les
plages d'Ostende, à marée basse. Les Flamands lui doivent une fière
chandelle, mais il est vrai qu'il leur a aussi balancé des vacheries
(voir "Les Bonbons 67", "Les F…", etc.).
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Une île
CD7 / 5
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Todd,
qui a pu farfouiller dans les bibliothèques de Brel, y a trouvé
"L'Île" de Robert Merle, un roman qui évoque "la spontanéité, la
générosité et la violence des sauvages tahitiens face à la mesquinerie
calculatrice des Blancs. Est-ce en le lisant qu'il se mit à rêver de
Polynésie, où il s'installa une douzaine d'années plus tard ? La
réponse est positive, sans équivoque…
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Bruxelles CD7 / 7
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Il
existe deux "Bruxelles" dans son répertoire. Une chanson du début des
années 50 dont il subsiste quelques couplets évoquant sa morne
adolescence, quand il regardait les filles, paralysé par ses
complexes, alors qu'il poursuivait péniblement ses études secondaires
à l'institut Saint-Louis, pendant la guerre. Une sorte de brouillon
avant ce petit bijou de concision cinématographique : il suffit de
quelques mots (C'était au temps où Bruxelles bruxellait…) est
nous voici plongés dans le Bruxelles début de siècle : "Si je n'ai pas
songé à la ville de mon enfance, confiait Brel à Clouzet, c'est sans
doute parce que je ne l'aimais pas assez ou bien parce qu'elle n'avait
rien à dire".
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Chanson
sans paroles CD7 / 8
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Sur des
cordes superbes orchestrées par François Rauber, Brel dit un texte
plus qu'il ne le chante, comme un avant-goût de leur poème symphonique
"Jean de Bruges" mis en boîte un an plus tard.
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Casse-pompon CD7 / 10
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Le
Caporal Casse-pompon ou casse-bonbon ? Brel imagine un pauvre gradé
teuton qui aime le clairon parce que c'est une trompette en
uniforme et qui défile en chantant Baisse ta gaine gretchen que
je baise ta croupe (ein zwei)… À sa fille France, parfois, il
envoyait des télégrammes signés "Caporal Von Brel"…
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Rosa CD7
/ 12 et CD10 / 12 (version flamande)
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Est-il
utile de préciser que Brel était nul en latin ? Et que ses résultats
scolaires étaient globalement désastreux, au point de redoubler des
classes ? "Rosa", c'est le blues du cancre, le tango du collège qui
prend les rêves au piège, le spleen de la déclinaison : dans la
biographie qu'il consacra à Brel, Olivier Todd prit un malin plaisir à
reproduire ses lettres sans en corriger les (nombreuses) fautes
d'orthographe… Pour rendre le surhomme plus humain ?
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Les
Bigotes CD8 / 11 et CD9 / 11 (version en public à l'Olympia)
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En vue
d'un super 45 tours quatre titres Brel retourne en studio le 22
novembre 1962 et enquille quatre chansons qu'il va ensuite
réenregistrer, en avril 1963, pour son nouveau 30 centimètres. Après
"La Dame patronnesse" de 1959, Brel déverse son fiel sur les
grenouilles de bénitier qui processionnent à petits pas. En
public, il en donnait une version diabolique, hilarante, joignant le
geste, dégoulinant d'hypocrisie, au propos d'une férocité sans limite.
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Quand
maman reviendra CD8 / 13
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À Jean
Clouzet : "Il est exact que je n'aime pas beaucoup cette chanson. (…)
Je n'ai pas réussi ce que je désirais réaliser à l'origine. L'action
devait se dérouler dans la banlieue d'une grande ville des États-Unis.
J'ai voulu jouer au prolétaire et je ne le suis pas. J'ai voulu me
glisser dans la peau d'un gars de vingt ans et je ne les ai plus.
Chaque fois que je triche avec moi-même je vais droit à l'échec et, au
fond, c'est bien fait pour moi. (…) Voilà comment on rate une
chanson.".
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Les
Filles et les chiens CD8 / 10
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Pardonnez à l'auteur de ces lignes de trouver cette chanson
inacceptable. Il y a deux formes de misogynies : celle qui se pratique
avec humour, y compris l'ironie du désespoir, et la phobie pure et
simple, irrationnelle et insupportable. À l'évidence, Brel est tombé
dans le piège pour cet "impitoyable réquisitoire" (Clouzet) que Pierre
Desproges évitera avec brio, sur scène, plus de vingt ans après,
lorsqu'il dira "Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien.
Plus je connais les femmes, moins j’aime ma chienne…". Une composition
à sept temps, une rythme "inconnu des compositeurs" (Clouzet, à
nouveau) avec des trouvailles (Ç a joue contre joue)
et des horreurs (Les filles, ça donne sur la cour).
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La
Parlote CD8 / 3
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Il y a
deux sortes de parlote : celle qui rend ses sentences au bistrot,
premier apéritif de France, dont Brel-le-discutailleur devait se
sentir proche, et celle qui d'un fifrelin fait un scandale et d'un
faussaire un orfèvre. Les incartades de Brel firent moins recette,
dans les gazettes à sensation, que les fiançailles de Johnny ou les
amours d'Onassis mais il se méfiait des journalistes ; il fut
particulièrement contrarié, par exemple, lorsque filtra la révélation
de ses adieux à la scène, trois ans plus tard, lui qui savait se
décision définitive et ne voulait pas qu'elle passe pour un caprice à
la Trenet ou à la Josephine Baker, deux champions des fausses
sorties…
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1963
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28
février au 31 mars 1963.
Nouveau triomphe à l'Olympia ; comme il n'a jamais digéré la
réputation de chanteur ennuyeux que lui a faite Bruno Coquatrix,
patron de la salle, à l'époque de "l'abbé Brel", il décide une entrée
en scène dans la plus pure tradition du music-hall : il arrive de dos,
au milieu d'une ligne de girls, et se retourne, tel Mistinguett en
personne !
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Les
Vieux CD8 / 2 et CD9 / 5 (version en public à l'Olympia)
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"Le
métier aidant, écrit Olivier Todd, Brel utilise des vers de plus en
plus longs, parvenant même dans "Les Vieux" à employer un dix-huit
syllabes, exercice difficile". À qui pense-t-il en les composant ? À
Romain, son père, dont il vient de fêter le 80ème
anniversaire ? À Moucky, sa chère maman, qui l'avait soutenu dans ses
rêves d'artistes, au grand dam de son mari ? Sans doute. Tragique
coïncidence : son père meurt neuf mois après la création de cette
chanson au rythme désespérément lent, suivi deux mois plus tard par sa
veuve.
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Les
Toros CD8 / 7 et CD9 / 6 (version en public à l'Olympia)
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Qui se
cache derrière ces toros qui s'ennuient le dimanche / Quand il
s'agit de mourir pour nous ? On peut y lire un commentaire sur sa
renommée, déjà esquissé dans "La Statue". Lui qui bondissait sur scène
comme dans une arène, lui dont les concerts ressemblaient à des
corridas ? Il donnait tout, se retrouvait tout nu, comme son
toro, parfaitement conscient du pouvoir de vie ou de mort de son
public qu'il devait parfois maudire autant qu'il l'aimait : ne
déclarait-il pas, en 1963, "J'ai toujours trouvé qu'il y avait un
petit côté 'mise à mort' dans un tour de chant" ?
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La
Fanette CD8 / 8
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Au
printemps 1963, Isabelle Aubret enregistre "La Fannette" (avec deux n)
puis est victime d'un accident de voiture qui, comme le raconte Marc
Robine, la laissera brisée, entre la vie et la mort, pendant de longs
mois. Généreux, Brel – qui donna au fil de ses tournées des dizaines
de galas au profit de toutes sortes de causes – lui abandonnera
"définitivement et intégralement" les droits d'auteur de cette chanson
qui raconte un premier chagrin d'amour. Mais parlons d'autre chose…
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J'aimais
CD8 / 9
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"C'est
une chanson d'amour courtois, écrit André Sallée, baignée d'harmonies
debussystes et de préciosités. On y hésite entre le tu et le vous, le
rêve et l'oubli. On pense à Maeterlinck (…). C'est aussi une chanson
de Flandre, avec les vagues et les algues, les brumes du plat pays,
les fleuves profonds." Des fleuves qui semblent attendre le narrateur,
annonçant les envies suicidaires des "Désespérés".
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Les
Fenêtres CD8 / 12
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Une
dizaine d'années après "Il pleut 'Les Carreaux'", sur un rythme de
sardane, Brel s'intéresse non pas tant aux fenêtres, mais à celles et
ceux qui, cachés derrière, observent les allées et venues de ces
messieurs qui vont voir la putain du fond de l'impasse ou se
permettent de juger les enfants qui cherchent l'amour. En un mot, les
immobiles qui matent ceux qui bougent. Heureusement, les fenêtres
servent aussi à dissimuler les rendez-vous des amants…
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Il neige
sur Liège CD7 / 13
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Enregistré en mai 1963 pour un congrès des bourgmestres (les maires)
en Belgique, inclus plus tard sur un album intitulé "La Belgique vue
du ciel", on sait que Brel était conscient des faiblesses de ce titre
né de son amitié avec Jean-Pierre Grafé, copain de virées liégeoises,
qu'il avait connu étudiant en droit et qui devint plus tard ministre
P.S.C. (social-chrétien). Alors que la Flandre, où se situent les
racines familiales, lui a inspiré tant de chef-d'œuvres ("Le Plat
Pays", "Marieke", etc.), la Wallonie ne crée nulle étincelle. Pour la
petite histoire, la chanson est mise en boîte le même jour qu'un poème
symphonique intitulé "Jean de Bruges", pour lequel Brel composa – et
interpréta - trois autres textes ("La Baleine", "La Sirène",
"L'Ouragan", à classer dans la catégorie "les chargeurs réunis").
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Pourquoi
faut-il que les hommes s'ennuient CD7 / 14
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Enregistré durant l'été 1963 pour le film "Un roi sans divertissement"
de François Leterrier, tiré d'un roman de Giono, avec Charles Vanel et
Colette Renard, il s'agit de la première contribution de Brel au
cinéma (si l'on excepte ses apparitions dans deux courts-métrages en
1956 et 1962), longtemps avant ses premières expériences comme acteur
puis comme metteur en scène. Jusque-là, comme il l'avoua plus tard, il
lui suffisait de s'enfoncer dans le fauteuil d'une salle obscure pour
s'endormir aussitôt…
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1964
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Les
Bonbons CD8 / 1 et CD9 / 9 (version en public à l'Olympia)
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Entre le
7 janvier et le 7 mars 1964, en quatre séances, interrompues par le
décès de son père, Brel met en boîte les huit titres de deux E.P. qui
sont publiés simultanément au printemps. Au zénith de sa créativité,
il oscille du tragique au truculent, joue parfois simultanément des
deux registres, comme dans ces "Bonbons" où les lilas de l'amoureux
"Madeleine" ont été remplacés par des confiseries. "Il ne reste plus
devant nous qu'un homme dont la bêtise le dispute à la méchanceté" (Clouzet).
Une bêtise amplifiée par l'accent bruxellois de l'anti-héros mis en
scène par Brel ?
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Les
Bergers CD10 / 4
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André
Sallée et France Brel révèlent que Brel n'aimait pas trop cette
chanson qui lui rappelait les tendances folkloristes de ses débuts. Il
qualifiait d'"emmerdatoire" ce récit d'une transhumance où les bergers
ont les mêmes senteurs que leurs vieilles montagnes et se
mettent à danser à l'ombre d'un pipeau. Le narrateur observe avec
envie ceux qui mènent leurs troupeaux dans la montagne : on retrouve
la dualité immobilité / aventure qui s'inscrit au cœur de tant de ses
chansons.
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Le
Dernier Repas CD8 / 4 et CD9 / 3 (enregistrement public à l'Olympia)
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En
octobre 1963, comme le raconte Marc Robine, alors qu'il était en
vacances avec Sylvie dans leur cabanon de Roquebrune, où il fait du
bateau, Jacques fait une mauvaise chute à la suite d'une fausse
manœuvre, et se brise le pied. Immobilisé pendant trois semaines, il
écrit les huit chansons de son prochain disque, dont ce "Dernier
repas" où il se propose de bouffer du curé et d'invectiver ce Bon Dieu
auquel il a tant cru, étant môme. On sait que Brel a perdu la foi mais
sous l'apparente sérénité il se trahit : Je sais que j'aurai peur /
Une dernière fois.
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Titine
CD8 / 5
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En 1922,
Gaby Montbreuse chantait "Titine (je cherche après Titine)" sur des
paroles de Henri Lemonnier et Marcel Bertal et une musique de Léo
Daniderff. Brel, lui, a bord de son Hispano-Suiza, l'a retrouvée et
cite ses sources (y compris la version que Chaplin en fit dans "Les
Temps modernes").
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Au
suivant CD8 / 6 et CD9 / 14 (version en public à l'Olympia)
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Un tour
de force. En deux vers, on visualise déjà les pauvres piou-pious qui
font la queue au bordel… Les connaisseurs apprécient également la
version anglaise par le Sensational Alex Harvey Band, groupe de rock
théâtral très populaire dans les années 70, sous le titre "Next…"
(1973). Tout ceci en alexandrins, comme "Les Bergers", pour jouer sur
"le contraste du vers et la trivialité apparente du sujet" (Clouzet).
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Les
Amants de cœur (The Lovers) CD8 / 14
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Rare
exemple d'une chanson adaptée de l'anglais par Brel (avec celles du
spectacle musical "L'Homme de la Mancha"), "Les Amants de cœur (The
Lovers)" lui permet de rendre la politesse à celui qui, le premier,
transposa ses chansons dans la langue de Sinatra. Il l'emprunte en
effet à l'américain Rod McKuen, auteur de plus de 900 chansons ; à
l'instar de Mort Shuman, qui fut l'autre ambassadeur de Brel
auprès des anglo-saxons, McKuen signa les paroles anglaises du
"Moribond" ("Seasons In The Sun", n° 1 aux États-Unis et en
Grande-Bretagne au printemps 1974 par le Canadien Terry Jacks, la
chanson avait été créée par le Kingston Trio en 1963) et de "Ne me
quitte pas" ("If You Go Away", autre tube pour Terry Jacks en 1974,
également chanté par Shirley Bassey, Neil Diamond, Tom Jones, Marc
Almond, Scott Walker, etc.). De Brel il adapta également "Amsterdam",
"Les Bourgeois", "L'Enfance", etc., ainsi que d'autres chanteurs
français tels que Gilbert Bécaud, Léo Ferré, Georges Moustaki, Michel
Sardou, etc. "Les Amants de cœur" resta inédite jusqu'en 1982, date de
sortie d'un prestigieux coffret en 14 albums vinyle.
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14 juin.
Traitement de roi : Brel interprète 15 chansons à la télévision, dans
l'émission "Discorama" présentée par la légendaire Denise Glaser. Dès
le mois d'août, passionné d'aviation, il prend des cours de pilotage
et s'achète son premier avion.
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Amsterdam CD9 / 1 (enregistrement public à l'Olympia)
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Trois
ans à peine après son premier album "live" dans la célèbre salle du
boulevard des Capucines, deux ans avant ses adieux au même endroit,
Brel met en boîte un second enregistrement public les 16 et 17
octobre, un de ces albums qui ont contribué à enraciner la légende de
l'Olympia, cette salle dont on dit qu'elle a une âme… C'est l'unique
trace discographique de ce morceau mythique : Brel devina qu'il lui
était impossible de faire mieux en studio. Placée en troisième
position de son nouveau tour de chant, à l'Olympia, le public
l'ovationne, quémande un bis (que Brel ne fera pas, fidèle à la règle
fixée) ; l'artiste doit attendre plusieurs minutes avant que le calme
revienne pour enchaîner sur "Les Vieux"… Dans cet instant de grâce
absolu, on retrouve la thématique du port de mer et des prostituées
(chères au cœur de Brel, client assidu des maisons de tolérance) qui
va séduire les interprètes anglo-saxons, en particulier Scott Walker
(1967) et David Bowie (1973). Et puis, un homme qui a écrit Et ils
pissent comme je pleure / Sur les femmes infidèles est forcément
un génie !
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Les
Timides CD9 / 2 (enregistrement public à l'Olympia)
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Chaque
soir, pendant plus d'un mois (du mardi 13 octobre au mardi 17
novembre, avec de rares jours de relâche au cours desquels l'Olympia
accueille d'autres artistes, tels les Rolling Stones pour leur premier
concert parisien qui vire à l'émeute le 20 octobre), la tornade Brel
s'abat sur un public éberlué. Une quinzaine de titres d'une intensité
bouleversante, pas de temps morts, pas une minute pour laisser aux
applaudissements le temps de s'éteindre d'eux-mêmes, et bien sûr pas
de rappel à la fin (coquetterie ou gimmick marketing avant la
lettre, Brel n'en accorda jamais, pas plus qu'il ne parlait sur scène,
entre les chansons : il connaissait pourtant toutes les autres
ficelles du métier - et en abusait souvent). Comme le précisent
Jean-Michel Boris et Jean-François Brieu dans leur livre "Olympia
1954-2004 : 50 ans de Music-hall", la captation de ses prestations fut
délicate. L'équipe technique ne disposait que de six micros : un pour
Brel, un pour l'ambiance, quatre pour l'orchestre. Brel est prié de
rester rivé au sien : il accepte la contrainte et se concentre plus
que jamais sur la violence incantatoire de son chant. Après les
concerts, Brel-le-timide passe des heures à discuter et refaire le
monde dans le bar que tient la légendaire Marilyn dans les coulisses
de l'Olympia. "Brel n'avait jamais sommeil, raconte Micky Fagès,
responsable des Musicorama d'Europe 1. Il n'avait pas confiance en
lui. Il me disait toujours : "C'était comment ce soir ? Tu crois que
ça leur a plu ?" - Je lui répondais : "Mais non, c'est de la meeeerde.
Tu leur as servi de la meeeerde." Il me regardait avec son petit
sourire en coin, genre "Il est sérieux, ce connard, ou il me charrie
?".
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Les
Jardins du casino CD9 / 4 (enregistrement public à l'Olympia)
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La
presse parisienne, au lendemain de la première, est délirante :
"Jacques Brel a remporté hier soir le premier triomphe de la saison.
Huit minutes d'applaudissement après sa 14e et dernière
chanson. Il était pourtant près de minuit trente. (…) Sous la houle
des "bis", des "bravo", Jacques Brel s'inclinait, la sueur du front
aux lèvres, le sourire étonné. À partir de là, ce fut du délire. Le
fracas des applaudissements couvrait les premières paroles, emportait
les dernières dans un tumulte sans cesse renaissant." Avec "Les
Timides" et "Amsterdam", "Les Jardins du casino" est la troisième
nouveauté de cet Olympia de légende, avec ses caricatures ricanantes
(ces jeunes gens faméliques / Qui vont encore confondant /
L'érotisme et la gymnastique), ses colonels "encivilés" et son
pauvre Pierrot…
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Tango
funèbre CD9 / 7 (enregistrement public à l'Olympia) et CD10 / 5
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Publié
en mars 1964 sur un E.P. contenant aussi "Mathilde", "Tango funèbre"
est finalement inclus sur l'album qui fait suite au "live" à l'Olympia
1964. Il prolonge "Le Dernier Repas" : après les ripailles, les
funérailles. Ils sont là, entourant le défunt, attendant qu'il soit
froid : l'idée le révulse, mais ce n'est pas pour en retarder
l'échéance qu'il accepterait De ne plus boire que de l'eau / De ne
plus trousser les filles ! Jouir jusqu'au bout, puisque l'après
est tellement prévisible… Deux ans après, on le verra, le thème de la
mort sera quasi omniprésent.
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Mathilde
CD9 / 10 (enregistrement public à l'Olympia) et CD10 / 7
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Éternel
amoureux, infatigable Don Juan, les femmes de sa vie l'obsèdent : à
ses amis dans la confidence (Jojo, Rauber, Jouannest) il demande de
servir de messagers, de boîtes aux lettres, rôle qu'ils jouent parfois
à contrecœur. "Mathilde", "Marieke", "Madeleine" : la femme des
chansons de Brel porte un prénom en M, comme Miche… Quant à la
puissance d'interprétation sur scène, elle est renversante : "J'estime
inadmissible de tricher avec ce métier, disait Brel en 1966. On vit
pour lui, on n'en vit même pas (…) Les gens qui vibrent sur scène sont
des gens qui vibrent dans la vie. Le public ne s'y trompe pas".
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Jef CD9
/ 13 (enregistrement public à l'Olympia) et CD10 / 2
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Clouzet
: "Il y a dans son œuvre un petit nombre de 'reportages' comme il aime
à les appeler". Ainsi Jef, qui "a un visage bien précis ; la chanson
qui porte son nom conte une anecdote qui eut pour cadre un trottoir de
Bruxelles devant la caserne du Petit Château. Mais le Jef qui nous est
présenté n'est pas le véritable Jef ; il est, en fait, une synthèse de
trois ou quatre personnes… et de Brel lui-même".
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1965
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Octobre.
Après avoir chanté gratuitement à l'Échelle de Jacob en début d'année,
pour donner un coup de main à sa patronne Suzy Lebrun (qui, en 1953,
l'avait soutenu), puis en Israël, Brel effectue une tournée de cinq
semaines en Union soviétique : il chante à Bakou, Leningrad, Moscou
(où il accorde le seul "bis" de sa carrière), etc.
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Ces
gens-là CD10 / 1
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Du 2 au
6 novembre, Brel enregistre les six nouveaux titres qui, couplés avec
quatre plus anciens, vont constituer la matière de son dixième album,
qui paraît en fin d'année. C'est encore sur scène que cette chanson
prenait toute sa dimension, avec les shlurrrp, shlurrrp du troupeau
bouffant la soupe froide… "Les chansons de Brassens écrites se
suffisent, déclare à l'époque Brel au micro d'Europe n° 1 ; mes
chansons sont insuffisamment écrites et ont besoin de mon corps". Le
groupe de pop progressive Ange donna de "Ces gens-là" une version
particulièrement expressionniste en ouverture de l'album "Le Cimetière
des Arlequins" (1973) puis ce fut au tour de Noir Désir, sur l'album
hommage "Aux suivant(s)", paru en 1998 pour le 20ème
anniversaire de la disparition de son auteur.
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La
Chanson de Jacky CD10 / 3
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Brel
n'avait pas encore pris la décision d'arrêter les tours de chant
lorsqu'il fut happé par l'angoisse, habilement dissimulée ici sous une
bonne couche de drôlerie : et s'il devenait effectivement crooner de
charme pour femmes finissantes ? Maintenant qu'il est arrivé au
bout de cette folie qui le fit un jour de juin 1953 grimper à bord
d'un train qui l'avait mené à Paris, que lui reste-t-il à prouver ?
Marathonien des galas (qu'il donnait jusqu'à l'épuisement, comme
lorsqu'il était môme et se forçait à pédaler de plus en plus vite,
jusqu'à tomber de son vélo) il risque en effet de se retrouver un soir
à brailler pour les éléphants roses et les vieux Chinois.
Avec une bouffée de nostalgie, il se souvient de Jacky, de sa bêtise
et de son idéalisme, de quand il était beau beau beau et con à la
fois !
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Fernand
CD10 / 6
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La mort
et la vieillesse sont au centre de son album de 1966, alors que Brel
vient à peine de fêter son 37ème anniversaire. "La Chanson
de Jacky", "Tango funèbre", "L'Âge idiot", "Les Désespérés" et
"Fernand" : on pourrait parler d'un cycle, d'une dépression, les
Anglo-saxons invoqueraient une "mid-life crisis"… Brel broie du noir
en suivant le corbillard de l'ami Fernand, sans se douter de la
souffrance qui va le terrasser le jour où il enterrera pour de vrai
Jojo, son meilleur ami.
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L'Âge
idiot CD10 / 8
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Préfigurant le "Vieillir" de 1977, atrocement lucide, Brel assène des
vérités douloureuses à entendre : il revisite le thème de la mort
qu'il envisage comme un retour au ventre maternel, au ventre de la
terre ; entre-temps, on ne sort jamais de l'âge idiot, qu'on ait vingt
ans ou soixante, si l'on accepte de se laisser pousser le ventre. Pour
ne pas succomber à cette tentation, il faut toujours avoir faim, nous
dit-il, faim de rêve et d'aventure !
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Grand'
mère CD10 / 9
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Poussant
le bouchon de sa comédie humaine, Brel met en scène une milliardaire
cocufiée fumant des barreaux de chaise, un grand-père abonné aux
frasques ancillaires et un magot avec des tas de zéros. On la croit
vertueuse, elle est lubrique et la chute inattendue la voit sauter la
bonne En lui disant que les hommes sont des menteurs. Tous les
éléments sont réunis et pourtant, la mayonnaise ne prend pas : Brel,
qui était impitoyable quand il jugeait ses propres chansons, ne nous
en voudra pas de classer celle-ci dans les œuvres secondaires.
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Les
Désespérés CD10 / 10
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Jusqu'auboutiste,
Brel brûlait sa vie sur les planches, dormait très peu, tenait le coup
grâce à l'alcool et à la nicotine de ses quatre paquets quotidiens.
Fuite en avant, peur de s'arrêter, de se poser, de réfléchir : il ne
suffisait pas à Brel de vivre debout, il fallait foncer comme s'il
avait Satan aux fesses. Quitte à glisser un aveu suicidogène quand il
dit sa solidarité avec les désespérés de sa chanson triste, qui se
retrouva au générique de "Franz", son premier film, chanté en
hollandais par Liesbeth List : Et je sais leur chemin pour l'avoir
cheminé / Déjà plus de cent fois, cent fois plus qu'à moitié…
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3
décembre.
Diffusion de la première de quatre émissions sur Europe 1 : le
producteur et animateur Jean Serge a réuni Brel et Brassens pour une
série de dialogues à bâtons rompus. Les deux monstres sacrés
rivalisent d'amabilités, de cabotinages, de franche sincérité. Au même
moment, Brel se produit à New York, au Carnegie Hall, qu'il remplit à
craquer, comme seule Piaf l'avait fait avant lui. Le Washington Post
écrit : "Brel a crevé la scène avec la violence d'un orage
magnétique".
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1966
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6
octobre.
Début de son dernier passage à l'Olympia. À François Rauber, durant la
traditionnelle tournée d'été, il a annoncé sa volonté de quitter la
scène, "parce que je n'ai plus rien à dire". Au même moment, les
Beatles donnent leurs derniers concerts aux États-Unis, pour pouvoir
consacrer plus de temps à leurs albums (ce qui nous donnera "Sgt
Pepper's Lonely Hearts Club Band", etc.). Le soir de sa première, Brel
chante quinze chansons. Vingt minutes d'ovation, il ne donne pas de
rappel (règle immuable) mais revient saluer sept fois, y compris en
peignoir de bain (photo célèbre). Ses fans sont partagés : certains
n'y croient pas (tant d'artistes ont fait de faux adieux au music-hall
!), d'autres le traitent de déserteur, de démissionnaire. Quitter au
sommet : n'est-ce pas, de toute son œuvre, l'acte le plus radical, le
plus sublime ?
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1967
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Mon
enfance CD11 / 1
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Enregistrées en quatre séances, entre le 30 décembre 1966 et le 18
janvier 1967, les dix chansons de son onzième album ("Brel 67") sont
complétées par "Les Moutons,", titre longtemps inédit. Quelques mois
avant d'écrire "Mon enfance", Brel confiait au micro de la radio belge
: "Je ne regrette pas du tout le temps de l'enfance parce que je crois
que ce n'est supportable qu'une fois. Je trouvais ça bien long. Et
j'en parle parfois, enfin dans une chanson, mais pas du tout avec
regret…". Marc Robine est définitif : "L'une des chansons essentielles
du Grand Jacques. Une des plus autobiographiques, une des plus belles,
des plus fortes, des plus sensibles, des plus achevées ; et sans doute
l'une des plus grandes chansons françaises qui soient".
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Le
Cheval CD11 / 2
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Hormis
le fait qu'il se laisse pousser les cheveux, ce qui est parfaitement
dans l'air du temps, Brel semble imperméable aux modes et influences
extérieures. Les sixties sont secouées de déflagrations en tous
genres (pop art, rock'n'roll, pop music, peace & love, etc.) mais tel
le soc d'acier de "Franche Cordée", Brel laboure inlassablement son
sillon. Bien lui en a pris : ses plus grandes chansons n'ont
pratiquement pas vieilli. Et lorsqu'il se moque de son physique – lui
qui fut, adolescent, complexé par sa laideur et ses grandes dents – le
rire est intact, plus de 35 ans après…
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Mon père
disait CD11 / 3
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"Le Plat
Pays" revisité : on ne peut s'empêcher de déceler la jouissance qu'a
l'interprète à faire claquer des noms comme Scheveningen ou Zeebrugge.
Dans le poème symphonique "Jean de Bruges" (1964), il évoquait déjà
l'idée d'une Angleterre qui se serait détachée de la Belgique une nuit
de déluge… Et le père convoqué ici ne ressemble pas du tout au pauvre
Romain Brel mort trois ans plus tôt : à l'évidence, Brel est ce
père, il s'imagine parlant au fils qu'il n'eut jamais, c'est pour le
protéger des chagrins qu'il se voit capitaine et brise-larmes
(splendide trouvaille!).
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La La La
CD11 / 4
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S'il
passe beaucoup de temps en France, Brel n'ignore pas ce qui se passe
dans son pays natal. Ceux qu'on surnomme "les nouveaux primitifs
flamands" barbouillent de peinture les indications francophones sur
les flèches bilingues, le long des routes, sur les plaques donnant le
nom des rues, à Bruxelles. Pas moins cons, ils sont aussitôt imités
par des francophones militants. On se bat pour le campus francophone
de l'université de Louvain, ville à majorité néerlandophone. On doit
en créer un autre, baptisé Louvain-la-Neuve, en Brabant wallon. Les
partis linguistiques (Volksunie chez les flamoutches, comme ils
disent, F.D.F. – Front Démocratique des Francophones - chez les
Wallingants) haussent le ton. Le drame belge vient de là, de
l'obligation d'apprendre une langue que l'on n'aime pas : pour les
néerlandophones, le français symbolise une oppression (c'était la
langue des patrons, des maîtres, au siècle d'avant) ; pour les
francophones le flamand ressemble à une maladie de la gorge (tentez de
prononcer "maatschappij", "ongelooflijk", "geschiedenis" ou "beschrijkbaar"
en évitant le borborygme, pour voir). De la difficulté d'être Brelge,
comme dirait Todd… D'où ce mélange d'amour et de haine, vivement
critiqué par nombre de ses compatriotes : J'habiterai une
quelconque Belgique (…) je lui chanterai Vive la République / Vive les
Belgiens merde pour le Flamingants… D'autres le remercièrent
d'avoir exprimé avec drôlerie le fond de leur pensée. Quant aux
Flamingants, qui l'excommunient (oubliant au passage ce que Brel avait
fait pour leur région avec "Le Plat Pays"), ils n'ont pas fini de
morfler…
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Les
Cœurs tendres CD11 / 5
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Cette
chanson fut la dernière enregistrée lors des séances de janvier 1967
qui donnèrent naissance à un album d'exception. Œuvre de commande,
elle fut écrite pour le générique du film "Un idiot à Paris", de
Serge Korber d'après le roman de René Fallet (ami de Brassens),
dialogué par Audiard, avec Jean Lefebvre, Dany Carrel et Bernard
Blier.
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Fils de
CD11 / 6
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Brel
racontait en 1968 : "Je crois que l'enfant est parfaitement nomade.
Donc aventurier. Et on lui apprend petit à petit à être prudent, à
être sage, à être économe. Pas dans le sens "pognon"… Non non, dans le
pire sens du mot. On économise ses forces, on lui apprend des tas de
choses abominables. L'espoir, mais le mauvais espoir : "Il va
t'arriver des choses !". On il ne nous arrive jamais rien. Moi, dans
ma vie, il ne m'est arrivé que moi."
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Les
Bonbons 67 CD11 / 7
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Lors des
séances des "Marquises" en 1977, Brel enregistra un court monologue
intitulé "Histoire française" où il raconte en gloussant – avec un
accent bruxellois épais comme la mélasse – l'argument de la chanson
créée en 1964 dont il proposait ici la suite. "Il y a des gens qui ont
cru que je me moquais de cet accent, expliqua un jour l'intéressé. Pas
du tout ! J'ai employé l'accent bruxellois parce qu'il existe, bon
sang !". Il se moque de lui et des tendances du moment : à l'hôtel
Georges Vé (seuls les tenanciers de ce palace disent encore Georges 5
; idem la rupture bête et brutale, devenu une expression
populaire), il écoute pousser ses cheveux, dit des horreurs à ses
parents, parce que ça se fait à une époque où l'on parle beaucoup du
conflit des générations, et défile pour la paix au Viêt-nam. Le
frère flamingant de Germaine le fait bondir, évidemment : "Je trouve
que la Belgique vaut mieux qu'une querelle linguistique" disait-il en
interview.
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La
Chanson des vieux amants CD11 / 8
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Brel
n'aimait pas la musique que lui avait proposée Rauber : "Je l'ai senti
dans son regard alors qu'il la découvrait, confia le compositeur à
Jacques Vassal. Mais comme on faisait tout en prise directe, le studio
et l'orchestre étaient retenus pour ce jour-là, nous n'avions pas le
choix. C'est étonnant quand on sait que cette chanson a ensuite été le
succès du disque. Jacques a fini par aimer la musique à son tour".
Mais il est des chansons, comme celle-ci, comme "Avec le temps" de Léo
Ferré, qui ont fait couler trop de larmes. Il vaut mieux les
réécouter, en silence, ou les zapper, le cœur serré. Les vieux amants
ici réconciliés se déchireront à nouveau : "L'Amour est mort", qui
fait partie des cinq chansons inédites de 1977, en est la conclusion
tragique.
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À jeun
CD11 / 9
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Brel n'a
pas voulu d'un album enregistré en public lors de ses adieux
(considérant par ailleurs qu'avec les albums Olympia 1961 et 1964, il
avait fait le nécessaire) ; en revanche il publie le 23 janvier 1967,
soit 5 jours à peine après l'enregistrement des derniers titres, un
nouvel album simplement intitulé "Jacques Brel 1967". Au verso de sa
pochette on le voit littéralement prêt à s'envoler vers d'autres
aventures : il est assis sur l'aile du Guardian Horizon monomoteur
qu'il s'est acheté deux ans plus tôt, comme le précise Marc Robine !
Cocu mais joyeux, l'ivrogne de la chanson revient de l'enterrement de
sa femme, qui le trompait avec son chef du contentieux. Notez le clin
d'œil, dans le premier couplet, au fameux "Si tu n'vas pas à Lagardère
/ Lagardère ira-t-a-toi" dont on ne sait plus s'il trouve son origine
dans le théâtre de Toone (les marionnettes bruxelloises) ou dans les
fables de Pitje Schramouille (chef d'œuvre de l'humour belge, parues
anonymement avant-guerre, que l'on devait à Roger Kervyn).
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Le Gaz
CD11 / 10
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Alors
qu'il repart en tournée pour honorer ses derniers contrats, le public
découvre que l'album "Jacques Brel 67" contient plus de chansons
comiques qu'aucun de ses disques précédents. Après "Le Cheval", "La La
La", "Les Bonbons 67" et "À jeun", voici "Le Gaz" et sa maison qui
tire-bouchonne où l'employé du gazzzzzz énumère ses rivaux à la façon
d'un Prévert : on y croise une bedeau, un facteur, un plombier, un
docteur, un notaire et même un poète (de Carpentras) tous là pour leur
hôtesse, qui a des seins comme des reposoirs…
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Les
Moutons CD11 / 11
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Désolé
bergère / J'aime pas les agneaux / Qui arrondissent le dos / De
troupeau en troupeau… Inédite jusqu'en 1988, cette oeuvrette
mineure voit Brel enfoncer des portes déjà largement ouvertes (par
lui) auparavant. Qui est surpris d'apprendre qu'il n'aime pas les
moutons ?
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Février
1967.
Sur les conseils de Miche, Brel se rend aux États-Unis pour assister à
plusieurs représentations de "Man Of La Mancha", spectacle musical qui
se joue off-Broadway depuis novembre 1965 et qui rencontre un gros
succès (avec plus de 2.300 représentations, c'est l'un des trois shows
les plus populaires des années 60). Brel décide de l'adapter en
français. Au Village Gate Theatre (également off-Broadway) il assiste
également au "musical" que Mort Shuman a conçu à partir de 25 de ses
chansons : "Jacques Brel Is Alive And Well And Living In Paris" fait
le plein tous les soirs depuis le 22 janvier 1966. Il y aura au total
plus de 1.800 représentations à New York, ainsi que des tournées à
travers les États-Unis et internationales. À Londres, en revanche, le
spectacle fait un bide : seulement 41 représentations au Duchess
Theatre en 1968. En 1971, pour le cinquième anniversaire de sa
création, une représentation de prestige aura lieu au Carnegie Hall,
avec Brel en invité d'honneur. Celui-ci semble embarrassé, rapporte
Todd : "On a l'impression d'être mort… d'être un vieux, très vieux
monsieur !"
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16 mai
1967.
Après une série de récitals au Canada en mars-avril et un retour au
Carnegie Hall de New York, la vraie dernière à lieu à… Roubaix, dans
le Nord de la France, dans un cinéma défraîchi, le Colisée, d'à peine
250 places comme le raconte Robine. Charley Marouani, son agent, Eddie
Barclay, des amis ont fait le déplacement. La soirée est "lugubre",
d'après les témoins. Tous savent la décision de Brel irrévocable.
Après chaque chanson, dos au public, Brel dit à son pianiste Gérard
Jouannest : "Celle-là, on ne la refera plus !"
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1968
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Je suis
un soir d'été CD12 / 4
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Alors
que Paris est convulsé par la révolte étudiante, Brel réussit à mettre
en boîte un titre, le 15 mai 1968, deux jours après avoir défilé, sans
trop y croire, à Denfert-Rochereau. Mais il ne s'entête pas et
repousse les séances pour son nouvel album au mois de septembre. En
attendant, il a enregistré un chef d'œuvre, et il en est fier (il
voyait dans cette chanson l'une de ses plus grandes réussites). Cinq
ans après "Il neige sur Liège", n'aurait-il pas réussi cette fois
l'équivalent wallon du "Plat pays" ? Nous sommes sur les flancs de la
Meuse, dans une ville qui Clignote le remords / Inutile et passant
/ De n'être pas un port…
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- Été. Brel débute sa
carrière d'acteur dans "Les Risques du métier" d'André Cayatte, dont
il supervise également la partition musicale. Il répétera l'exercice
pour "La Bande à Bonnot" de Fourastié (1968), "Mon oncle Benjamin" et
"L'Emmerdeur" de Molinaro (1968 et 1973), "Le Bar de la Fourche" de
Levent (1972) et – bien sûr - pour ses deux films comme metteur en
scène : "Franz" (1971) et "Le Far-West" (1973). Certaines ont fait
l'objet de disques 45 tours fiévreusement recherchés par les
collectionneurs. Comme acteur seulement il tournera dans "Mont-Dragon"
de Valère (1970), "Les Assassins de l'ordre" de Carné (1971) et
"L'Aventure c'est l'aventure" de Lelouch (qui compte de savoureux
numéros d'acteurs et de cabotins, par lui, Charles Denner, Lino
Ventura et Aldo "la classe" Maccione).
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J'arrive
CD12 / 1
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Les huit
autres chansons de son 12ème album sont enregistrées en
quatre séances, entre le 7 et le 23 septembre 1968. Directement après,
il attaque celles de "L'Homme de la Mancha" (du 23 au 27 novembre).
Après le cycle mortifère de 1966 ("Fernand", etc.), le
quasi-quadragénaire décide de fanfaronner : cette putain de mort, il
l'attend, il la défie, il lui dit "J'arrive", tout en regrettant déjà
son outrecuidance. Très jolie version par Gréco en 1970, à qui il
prêta aussi "La Chanson des vieux amants" et "L'Enfance".
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Vesoul
CD12 / 2
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Avec
Marcel Azzola à l'accordéon (chauffe Marcel !), "Vesoul", valse
déchaînée, fut l'un des plus gros succès discographiques de sa
carrière, avec "Ne me quitte pas", "Le Plat Pays" et "Amsterdam". Six
ans plus tôt, un chauffeur de taxi improvisé chanteur (Pierre Perrin)
avait écoulé quelques centaines de milliers d'exemplaires de son
"Clair de lune à Maubeuge" (également chanté par Fernand Reynaud,
Bourvil, etc.). Dans son "Vesoul", qui sera repris par le groupe
Louise Attaque dans les années 90, Brel cite Dutronc (dans "À jeun" il
fait aussi un clin d'œil au "Mirza" de Nino Ferrer), rend à jamais
célèbre un morne chef-lieu de la Haute-Saône et se livre à un exercice
de rapidité déjà brillamment réussi du temps de "La Valse à mille
temps"…
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L'Ostendaise CD12 / 3
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Jacques
l'a dit et répété : pour lui, il y a deux types d'hommes. Ceux qui
font du surplace et ceux qui bougent. Il y a les vivants / Et moi
je suis en mer… L'homme est parti voguer vers Singapeur
(qui rime avec belle-sœur) et son Ostendaise s'envoie le pharmacien.
Dans "Le Pendu", chanson inédite de 1964, interprétée à la télévision
hollandaise (qui rappelle, musicalement, "Amsterdam"), c'est la femme
d'un drapier qui l'a envoyé au gibet. Décidément, entre les
professions respectables et les femmes infidèles, la vie n'est pas
simple pour l'aventurier qui, loin de sommeiller en lui, guide
désormais toutes ses actions.
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Regarde
bien petit CD12 / 5
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"Il faut
voir, écrit Jacques Vassal, cet hallucinant film promotionnel de 1968
– vidéoclip avant la lettre – où Jacques, cheveux au vent, vêtu d'une
longue pelisse de fourrure, chante "Regarde bien petit" depuis le
sommet d'une dune, devant la mer du Nord…" On dirait une bande
dessinée : le fils a déjà préparé les armes, alors que s'approche le
fantôme d'un étranger, là-bas, sur cette plêêêne que Brel prononce
encore à la belge, lui qui avait appris à parler un français pointu en
serrant un crayon entre les dents…
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Comment
tuer l'amant de ma femme quand on a été élevé comme moi dans la
tradition ? CD12 / 6
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Sur un
rythme de charleston, Brel nous dit avec légèreté sa douleur d'être
cocu, lui qui ne se privait pas de faire pousser des cornes à ses
femmes et ses maîtresses. Mais il a sa vengeance : c'est de sa faute
si l'amant en question est un peu vérolé et même pénicilliné…
Heureuse époque où les M.S.T. pouvaient faire innocemment l'objet de
chansons drôles !
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L'Éclusier CD12 / 7
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Remarquable coïncidence, dans la catégorie trivia, c'est en
décembre 1968 que la 1ère chaîne commença la diffusion de
"L'Homme du Picardie" (avec Christian Barbier). Seulement accompagné
par Azzola à l'accordéon (comme "Jaurès" en 1977), Brel "atteint le
sublime dans le dénuement" (Vassal), "jusqu'au minimalisme du refrain"
: Ce n'est pas rien d'être éclusier. Cette chanson fut joliment
reprise ensuite par le Hollandais Dick Annegarn.
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Un
enfant CD12 / 8
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Surenchérissant sur Gainsbourg, Brel assénait : "La chanson n'est ni
un art majeur ni un art mineur, ce n'est pas un art. C'est un domaine
très pauvre (…) je vous mets au défi d'exprimer clairement la moindre
idée en trois couplets et trois refrains. J'écris actuellement une
chanson qui s'appellera "Un enfant". Donnez-moi dix pages et je vous
expliquerai comment je vois l'enfance. Mais la chanson ne durant que
trois minutes, les dix pages vont se réduire à un vers…"
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La Bière
CD12 / 9
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"Si je
continue, je vais être obligé de tricher", disait Brel à propos de la
scène, deux ans plus tôt. Sa crainte du "procédé" était avérée, il
frémissait à l'idée de se répéter, de bégayer. Avec cette chanson
certes sympathique et entraînante, d'ambiance "franchement
bruegelienne" comme l'écrit Robine, on ne peut cependant pas
s'empêcher de penser que Jacques fait du Brel…
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4
octobre.
Création de "L'Homme de la Mancha" au Théâtre de la Monnaie, à
Bruxelles, avec Dario Moreno dans le rôle de Sancho Pança. Juste avant
de reprendre les représentations à Paris, au théâtre des
Champs-Élysées, c'est le drame : parti rendre visite à sa famille en
Turquie, Dario meurt brutalement, victime d'une hémorragie cérébrale.
En cinq jours, Robert Manuel, de la Comédie française, reprend le rôle
au pied levé. La générale a bien lieu le 10 décembre ; malgré des
critiques mitigées, les représentations se poursuivent jusqu'en mai
1969 et auraient pu aller au-delà si Brel n'avait déclaré forfait.
Dans l'intervalle, quelques représentations avaient été annulées :
épuisé, amaigri, mais aussi victime d'un empoisonnement alimentaire,
Brel avait été hospitalisé en février.
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L'Homme
de la Mancha CD13 / 1 (duo avec Jean-Claude Calon) ; Dulcinea CD13 / 3
(Brel et le Muletiers) ; Le Casque d'or de Mambrino CD13 / 5 (trio
avec Jean-Claude Calon et Jacques Provins) ; La Quête CD13 / 8 /
Aldonza CD13 / 11 (duo avec Joan Diener) ; Le Chevalier aux miroirs
CD13 / 12 (duo avec Jean Mauvais) ; La Mort (finale du spectacle) CD
13 / 13.
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En 1965
déjà, Brel affirmait au micro de Jean Serge, sur Europe n° 1 : "Je
suis flamand et d'origine espagnole (…) J'explique un peu la Flandre
avec les mots de Cervantes"… "L'Homme de la Mancha" précède de
quelques mois la vague des comédies musicales "pop" adaptées en
français, telles "Hair", "Jésus-Christ Superstar" ou "Godspell". Ici,
bien sûr, on se situe plutôt dans la tradition des spectacles musicaux
de Broadway. Pauvre monde, insupportable monde / C'en est trop tu
es tombé trop bas / Tu es trop gris, tu es trop laid abominable monde
: les ruminations du héros de Cervantès sont proches du dégoût que
Brel ressent lui-même et qui le mènera, un jour, à s'en aller à
l'autre bout du monde. Brel, qui avait adapté en français le livret
original, n'est présent que sur sept titres, dont quelques duos,
notamment avec l'Américaine Joan Diener (qui avait créé le rôle aux
États-Unis et était la femme du metteur en scène Albert Marre ; Brel
aurait préféré une interprète française). Morceau de bravoure, "La
Quête" est interprété avec une ferveur bouleversante : le panache de
Don Quichotte lui colle à la peau. N'oublions pas que du sang espagnol
coule dans les veines des Belges : on ne sort pas indemne de deux
siècles et demi d'occupation…
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1969
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6
janvier.
Rencontre historique. À l'instigation du journaliste François-René
Cristiani, pour le compte du mensuel Rock&Folk qui existe depuis trois
ans, Brel, Ferré et Brassens se retrouvent dans un petit appartement
de la rive gauche, au premier étage d'un immeuble de la rue
Saint-Placide. Les magnétophones tournent, Jean-Pierre Leloir prend
les photos (déclinées plus tard en posters), les bouteilles sont
vidées et le tabac est fumé (Celtiques pour Ferré, Gitanes pour Brel,
bouffarde pour Tonton). Moment de grâce.
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12
novembre.
Brel joue au narrateurs pour deux contes pour enfants : "L'Histoire de
Babar" (musique de Francis Poulenc) et "Pierre et le loup"
(Prokofiev), accompagné par l'orchestre des concerts Lamoureux. Pour
la bande originale du film "Mon oncle Benjamin", il met également en
boîte trois titres : "Buvons un coup", "Mourir pour mourir" et "Les
Porteurs de rapières".
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1972
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1er
mars.
Première de "Franz", mis en scène par Brel, avec Barbara et Danièle
Évenou. Critique amicale mais piètre résultat : 70.000 entrées
seulement.
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Du 12 au
27 juin.
Brel réenregistre en quatre séances onze de ses plus grandes chansons
de ses année Philips avec ses vieux complices François Rauber et
Gérard Jouannest pour le compte de la maison Barclay : "Ne me quitte
pas", "Marieke", "On n'oublie rien", "Les Flamandes", "Les Prénoms de
Paris", "Quand on n'a que l'amour", "Les Biches", "Le Prochain Amour",
"Le Moribond", "La Valse à mille temps" et "Je ne sais pas".
Initiative mal comprise par le public, qui boude le 33 tours :
pourquoi vouloir faire mieux que la perfection des originaux ?
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La
Chanson de Van Horst CD12 / 10
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Chanson
du film "Le Bar de la Fourche", c'est aussi une histoire d'amitié.
Brel avait rencontré Alain Levent, chef-opérateur, sur le tournage de
"La Bande à Bonnot" puis il l'avait revu en juin 1970 sur celui de
"Mont-Dragon" ; il l'avait ensuite, en toute logique, engagé sur son
le tournage de "Franz". Lorsque Levent prépare son premier film comme
metteur en scène, il est évident que c'est à Brel que revient le rôle
principal. Mais très vite, malgré sa compétence et sa bonne volonté,
Levent semble dépassé par son sujet. Le tournage est désastreux, la
sortie du film (un 23 août) pire encore. Brel, pour qui l'amitié est
l'ultime valeur-refuge, enregistre la chanson du film – et engage
Levent comme chef-op' de son prochain film, "le Far West".
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Août.
Début du tournage de "Far West". Petit budget, histoire brouillonne,
onirique, avec des adultes qui jouent aux enfants, déguisés en
cow-boys, en indiens, en soldats sudistes. La plupart des acteurs sont
belges, avec aussi Danièle Évenou et de courtes apparitions de Michel
Piccoli, Juliette Gréco ou Lino Ventura. Cette fois la critique est
féroce (le film représente la Belgique à Cannes en mai 1973) et les
entrées navrantes (20.000) : "d'une niaiserie et d'un boy-scoutisme
atterrant" écrira plus tard Patrick Roegiers. Brel, accablé, abandonne
le cinéma d'auteur.
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1973
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7
janvier.
Jacques rédige un court testament. Sa femme, à qui il écrivait "Tu as
toujours été ce qui allait de mieux dans ma vie", est instituée
légataire universelle.
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L'Enfance
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Enregistrée en mai 1973 pour le film "Le Far West", "L'Enfance" lui
permet de revisiter un de ses thèmes fétiches. Brel, qui ne sortit
jamais vraiment de l'adolescence (obtenir un brevet de pilote,
s'acheter un avion, puis un bateau, faire le tour du monde, jouer au
Robinson sur une île de la Polynésie) idéalisait jusqu'à l'absurde
cette période de la vie qu'au final il comprenait mal : persuadé qu'un
père "ça ne sert à rien", sinon à faire des "guili guili", il ne
semble pas avoir été fasciné par l'enfance de ses propres filles. Les
vers Mon père était un chercheur d'or / L'ennui, c'est qu'il en a
trouvé font sans doute référence à Romain Brel, qui fit fortune au
Congo belge, non pas comme aventurier mais comme marchand. Chez Brel,
seule compte la quête… Pour la petite histoire, il offrit les droits
de cette chanson à la Fondation Perce-Neige créée par son ami Lino
Ventura au profit des jeunes handicapés.
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Octobre.
Ultime succès pour Brel acteur : aux côtés de Lino Ventura dans
"L'Emmerdeur" de Molinaro, il est irrésistible. En novembre, il
s'embarque à bord d'un voilier pour une traversée de l'Atlantique de
deux mois, "afin de se familiariser avec la croisière hauturière"
(Robine). De retour sur la terre ferme, Brel enthousiaste commence à
organiser un départ que cette fois il devine définitif.
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1974
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28
février.
Brel jubile : son bateau, l'Askoy II, est enfin prêt. Il va
pouvoir partir, tout plaquer, quitter ce "monde abominable" qu'il
chantait dans "L'Homme de la Mancha". Le 1er juillet, à
Ostende, il obtient son brevet de yachtman, "avec distinction".
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Fin août.
Aux Açores, Brel apprend la mort de son ami Jojo, qui était "plus
qu'un frère". Désespéré, il se rend à Paris pour assister à
l'enterrement.
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16
novembre.
Quelques mois après avoir décidé de faire le tour du monde avec sa
fille et sa nouvelle compagne, une belle Guadeloupéenne rencontrée
trois ans plus tôt sur le tournage de "L'Aventure c'est l'aventure",
Brel est rapatrié d'urgence à Bruxelles. À l'hôpital Édith Cavell, on
l'opère d'une tumeur au poumon gauche. Quatre paquets de tabac brun
par jour, depuis trente ans, ça ne pardonne pas. Tout en s'excusant de
lui "imposer sa présence", Brel utilise l'alibi de sa maladie (qui, à
terme, va l'emporter) pour réunir à ses côtés sa femme, Miche, et sa
maîtresse, Maddly. Le 22 décembre, Brel est de retour à bord de l'Askoy
et entreprend la traversée de l'Atlantique. Vu son état de santé,
c'est parfaitement déraisonnable.
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1975
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Janvier.
Arrivée de l'Askoy à la Martinique. France quitte le bateau. En avril,
Jacques et Maddly traversent le Pacifique en 59 jours. En novembre,
ils débarquent aux Marquises. Brel s'installe dans l'île de Hiva-Oa,
1200 habitants, à plus de 1000 kilomètres de Tahiti.
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1976
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Octobre.
Jacques vend l'Askoy et s'achète un avion, qu'il baptise Jojo. Il
retourne à Bruxelles, pour des examens médicaux, supprime la bière et
le tabac, fume désormais des "Gallia" sans nicotine ni goudrons.
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1977
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Fin août.
Jacques revient à Paris et se cache dans un petit hôtel de la rue
Chalgrin. Il refuse de voir sa famille.
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Jaurès
CD15 / 1
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Après
des répétitions dans l'appartement de Juliette Gréco, les ultimes
séances d'enregistrement ont lieu entre le 5 septembre et le 1er
octobre : déjà très malade, Brel n'enregistre parfois qu'une seule
chanson à la fois, sans changer pour autant de méthode de travail :
jusqu'au bout, il chante entouré de ses musiciens, dans les conditions
du direct, comme il le faisait déjà en 1954. Peu inspiré par les
politiques du moment (en mars 1977, lors des élections municipales,
l'Union de la Gauche avait pourtant obtenu des scores historiques),
Brel invoque le fantôme de Jaurès, fondateur du journal L'Humanité,
pacifiste militant et figure de proue du socialisme français,
assassiné en 1914 juste avant le début de la "Grande Guerre". Son ami
Jojo le vénérait à coup sûr : "Jaurès", au-delà de la politique, est
aussi une chanson sur l'amitié.
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La Ville
s'endormait CD15 / 2
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Faute de
goût : on sait Brel malade, on sait qu'il s'agit de son dernier album,
qu'il n'aura sans doute plus la force d'en enregistrer un autre, mais
le directeur artistique de Barclay choisit d'en illustrer la pochette
avec une photo de ciel bleu, où flottent quelques vagues nuages. Le
Ciel qui attend le chanteur ? Dans "La Ville s'endormait", exercice
épuré et tragique, il cite Ferrat (qui avait écoulé des centaines de
milliers d'exemplaires de "La Femme est l'avenir de l'homme" en 1975)
et parle de son corps épuisé, de cette fatigue qui plante son
couteau dans mes reins, mais aussi des femmes, encore et toujours,
en particulier des connes qui ne ressemblent qu'aux connes…
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Vieillir
CD15 / 3
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Sous-titré "Extrait de la comédie musicale Le Vilebrequin" comme
quatre autres chansons de cet ultime album, il faut y voir une
référence à une idée avortée et une bonne blague faite à ses exégètes,
qui se sont longuement interrogés à propos de cet obscur projet. Brel,
qui avait quitté la scène en 1967, pour ne pas se répéter, refusait de
Mourir en monument, parce qu'il savait combien il est facile de
faire semblant, combien il est dangereux d'être habile. Ne le
chantait-il pas déjà dans "Grand Jacques", en 1954 ? Six ans avant
d'enregistrer "Vieillir", il disait : "Ce qui compte dans une vie,
c'est l'intensité d'une vie, ce n'est pas la durée d'une vie".
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Le Bon
Dieu CD15 / 4
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Brel se
comportait parfois comme un envoyé de la Providence à Atuona, sur sa
petite île des Marquises, multipliant les bonnes actions. Et puis
Dieu, comme il le chante dans "Sans exigences" : On sait bien qu'il
est trop vieux / Et qu'il n'est plus maître de rien… Valse lente,
thème musical ravissant, 18 vers, 70 mots à peine pour dire sa foi en
l'homme, cette chanson est un bijou.
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Les F…
CD15 / 5
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Bon,
d'accord, il y a cette phrase épouvantable : "Nazis pendant les
guerres et catholiques entre elles". Pas d'excuse. Racisme de base. Ou
réaction épidermique, à 20.000 kilomètres de distance. Les échos qui
lui parviennent de sa Belgerie natale n'en finissent pas de le
hérisser. Dans le cadre exotique, si pas idyllique, de son île d'Atuona,
dans l'archipel des Marquises, Brel trépigne. Il veut, une dernière
fois, régler ses comptes avec ses racines, avec ce qui est devenu une
impossibilité : se dire Flamand sans en parler la langue. Douloureux
souvenir d'un idiome qu'il ne maîtrisa jamais, même après avoir subi,
du temps de la cartonnerie familiale, un stage dans la Campine
profonde ? Historiquement, il y eut certes plus de Résistants en
Wallonie qu'en Flandre durant la Seconde guerre. Il y eut plus de
liens tissés (sournoisement) par l'Occupant allemand avec les
activistes du Nord du pays. Vingt-cinq ans après "Les F…" les partis
nationalistes et fascisants néerlandophones sont plus vigoureux dans
le Nord (25% de voix à Anvers) que leurs équivalents, inexistants ou
presque, dans le Sud et à Bruxelles. Mais jusqu'à preuve du contraire,
Léon Degrelle et son parti Rexiste, authentiquement pro-nazis, étaient
wallons, non ?
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Orly
CD15 / 6
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Comme le
souligne Vassal, l'orchestre (cordes, bois et cuivres) ne se borne pas
à accompagner ou à illustrer des climats : il comble les vides laissés
par la voix, "assiste le chanteur dans son ultime tentative de nous
faire imaginer, poétiser ou transformer le réel". Brel n'aimait pas
les départs (qu'il chantait déjà en 1953 !), sauf quand c'était à son
tour de prendre le large, naturellement. Le grand tendre a le cœur
brisé par une scène banale, observée dans un aéroport ; il cite
Gilbert Bécaud qui, dans "Le Dimanche à Orly" (1963) décrivait un
loisir oublié depuis : aller admirer l'envol des Caravelles…
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Les
Remparts de Varsovie CD15 / 7
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Ultimes
rancoeurs à l'égard des femmes, de la femme, de sa femme ? Brel à
Clouzet, en 1964 : "Les femmes ne peuvent pas apporter à un homme
l'équilibre, tout simplement parce qu'elles prennent toujours plus
qu'elles ne donnent. Elles nous déséquilibrent forcément à la longue,
puisqu'elles nous obligent à leur offrir tout ce que nous possédons".
Comme une litanie, Brel disait dans ses lettres, envoyées à sa femme,
ses filles, ses amis, qu'il les souhaitait "bien dans leur peau". Et
lui, le fut-il jamais ?
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Voir un
ami pleurer CD15 / 8
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Gréco à
Daniel Pantchenko du trimestriel Chorus : "C'est Jacques lui-même qui
a dit à Gérard Jouannest "Si ça lui plaît, je lui donne cette chanson
! Et je veux qu'elle l'enregistre avant moi !" C'est ce qui s'est
passé…" Gréco n'a pas eu d'histoire d'amour avec Brel, juste une
histoire d'amitié, "d'amour debout" : c'est ainsi qu'elle eut le
privilège, 24 ans après avoir été sa première interprète en France, de
créer cette chanson dont le titre symbolise pour son auteur ce qu'il y
a de plus tragique au monde.
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Knokke-le-Zoute tango CD15 / 9
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Son ami
Franz, cabaretier à Bruxelles, dans l'Ilôt Sacré, puis à
Knokke-le-Zoute (qui est le Deauville des bèce-belges) avait déjà eu
droit à un titre de film. Ce coup-ci, Brel lui rend un hommage oblique
en jouant au Don Juan fatigué ; dans la vraie vie, il n'avait pas
besoin de draguer pour séduire : avant même d'être célèbre, elles
craquaient parce qu'il les faisait rire. Sur un rythme argentin il
évoque une fois encore les filles que l'on cueille dans les vitrines.
"L'amitié que j'avais avec Brel était une amitié de nuit et de bordel,
se souvient Johnny Hallyday, qui jouait son propre rôle dans
"L'Aventure c'est l'aventure". En tournée, il passait son temps dans
les bordels. Il ne touchait pas aux filles, il était copain avec
elles. Il arrivait et buvait des bières toutes la nuit. Il m'a emmené
souvent, notamment à Trouville. Quand il arrivait, toutes les filles
venaient lui dire bonjour en l'appelant par son prénom…"
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Jojo
CD15 / 10
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Quel
symbole ! Brel sait qu'il ne survivra plus longtemps à son ami,
enterré trois ans plus tôt. Serait-ce sa plus belle chanson d'amour ?
Six pieds sous terre Jojo tu frères encore / Six pieds sous terre,
tu n'es pas mort… Un néologisme de plus ? Non, un cri de désespoir
et de manque : l'amitié qui liait ces deux hommes se situe au-delà des
mots. Du coup, Brel en invente de nouveaux.
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Le Lion
CD15 / 11
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Jusqu'au
bout, Brel panique devant la femme. Dans "Le Cheval", il chantait
Par amour pour toi je me suis déjumenté ; dans "Le Lion", il se
lamente de la bêtise de son Gaston qui succombe, comme tous les
Gastons, à l'appel de la lionne, qui n'oublie pas de lui faire sentir
(comme la Germaine des "Bonbons") que les suppléants sont là, qui
rôdent, en cas de défaillance. Les années 70 avaient vu la montée en
puissance du Mouvement de Libération de la Femme (M.L.F.) qui n'avait
rien à voir avec les harpies caricaturales d'aujourd'hui (Chiennes de
garde, etc.) : chez Brel, la vision manichéenne des femelles en
général, lionnes et autres, n'avait pas foncièrement évolué.
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Les
Marquises CD15 / 12
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Brel en
1971 : "Ce qu'il y a de plus dur pour un homme qui habiterait Vilvorde
et qui voudrait aller vivre à Hong Kong, ce n'est pas d'aller à Hong
Kong, c'est de quitter Vilvorde. C'est ça qui est difficile ! Parce
qu'après Hong Kong, tout s'arrange. Il suffit d'avoir une santé et une
folie". Brel avait accompli sa folie, toutes ses folies, il y avait
perdu sa santé. De retour sur son île, il attend la mort, y pense
beaucoup, de plus en plus depuis son opération. Mais il l'attend
debout, comme un homme : Veux-tu que je te dise / Gémir n'est pas
de mise / Aux Marquises…
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17
novembre.
Sortie officielle du dernier album, livré par containers blindés et
verrouillés. Une petite armée de téléphonistes temporaires est engagée
pour livrer à la même heure aux disquaires le code secret qui leur
permettra de les ouvrir. Barclay est un génie, mais Brel désapprouve,
il est agacé par l'écho de ce battage publicitaire qui lui parvient
aux Marquises où déjà il s'est réfugié. Puis il est flatté, sans
doute, par les ventes colossales : le million d'exemplaires est
atteint en un temps record.
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Sans
exigences CD15 / 13
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Première
des cinq chansons inédites, enregistrées en direct par Gerhard Lehner,
l'ingénieur du son en qui Rauber et Brel ont toute confiance depuis
des années. En novembre, Eddie Barclay confirme à Brel, par écrit,
qu'il a bien noté ses instructions : les cinq titres ne doivent pas
figurer sur le nouveau disque, "jusqu'à ce que tu donnes d'autres
instructions". Ce ne sont pas, pourtant, des maquettes. On peut
imaginer que Brel avait prévu de revenir, l'année suivante, pour un
autre album, qui aurait sans doute inclus ces inédits. Et me voyant
sans exigences / Elle me croyait sans besoins : à qui s'adressent
ces vers interprété avec une fièvre autobiographique ? Pour une fois,
laissons de côté l'hypothèse amoureuse : on peut imaginer que ce texte
fait référence à l'envol de ses filles, devenues des femmes, qui elles
aussi avaient fini par le quitter, à force d'être abandonnées, quand
elles n'était pas jugées et disputées.
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Avec
élégance CD15 / 14
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S'il est
un mot-clé, dans le parcours de Brel, c'est bien le panache. Ne
plus vouloir se faire aimer / Pour cause de trop peu d'importance /
Être désespéré / Mais avec élégance… "Mon nom est Jacques Brel et
je conchie les cons" écrivait-il à sa femme, à la fin d'une lettre
envoyée trois ans avant sa mort. À la dérive, sa peur atroce de la
solitude et pire encore, de la mort de ses derniers rêves, lui tord
les tripes.
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Mai 40
CD15 / 15
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La
belgitude était une fierté et une douleur pour Brel : ce mot, inventé
par le sociologue Claude Javeau d'après le néologisme "négritude" de
Léopold Sédar Senghor, fait ici son entrée en poésie sur fond de big
band swing. Souvenir d'adolescence, de ce 10 mai 1940 qui vit les
Allemands envahir la Belgique, après avoir écrasé la vaine mais
courageuse résistance des 600.000 soldats de Léopold III. "Moi, je
regrette que la guerre ait duré quatre ans, disait Brel en 1969 sur
R.T.L. Ça a été long ! Mais je crois que c'est la seule chose que je
regrette de ma vie".
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L'Amour
est mort CD15 / 16
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Effroyable constat, dans sa froideur clinique. Les rabibochages et la
tendresse des "Vieux amants" est oubliée : cette fois la haine s'est
installée, comme chez Ferré dans "Avec le temps" où les plus
chouettes souvenirs ça t'a une de ses gueules… Les habitudes ont
trucidé la passion : Brel fait naufrage et entraîne celles qu'il a
aimées dans le tourbillon de sa désespérance. Ne pas écouter les soirs
de spleen.
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La
Cathédrale CD15 / 17
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Sur un
thème déjà évoqué en filigrane du "Plat pays", les cathédrales de Brel
sont des bateaux dont on hisse les voiles, que l'on peut "débondieuriser"
et lancer en mer…
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17
novembre.
Jacques et Maddly repartent pour Hiva-Oa via Bangkok et Hong-Kong.
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1978
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9
octobre.
À 4 heures 30 du matin, mort de Brel à l'hôpital franco-musulman de
Bobigny. Il est enterré près de Gauguin, dans le petit cimetière d'Atuona,
loin du plat pays, près de son rêve.
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Gilles Verlant
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- Sources bibliographiques
-
Jean
Clouzet "Jacques Brel", éditions Seghers, Paris, 1964.
-
Martin
Monestier "Brel, le livre du souvenir", éditions Tchou, Paris, 1979.
-
Olivier
Todd "Jacques Brel, une vie", éditions Robert Laffont, Paris, 1984.
-
France
Brel, André Sallée "Brel", éditions Solar, Paris, 1988.
-
Jacques
Vassal "Jacques Brel – de l'Olympia aux "Marquises", éditions Seghers,
Paris, 1988.
-
"Dictionnaire de la chanson en Wallonie et à Bruxelles", éditions
Mardaga, Liège, 1995.
-
Jean-Dominique Brierre "Barbara – une femme qui chante", éditions Hors
Collection, Paris, 1998.
-
Thierry
Coljon "La Belle Gigue", éditions Luc Pire, Bruxelles, 2001.
-
Gilles
Verlant (sous la direction de) "L'Encyclopédie de la chanson
française", éditions Hors Collection, Paris, 1997.
-
Marc
Robine "Grand Jacques – le roman de Jacques Brel", éditions Anne
Carrière, Paris, 1998.
-
Gilles
Verlant "Gainsbourg", éditions Albin Michel, Paris, 2000.
-
Patrick
Roegiers "Le Mal du pays – autobiographie de la Belgique, éditions du
Seuil, Paris, 2003.
-
Jacques
Brel "Le Droit de rêver", éditions Fondation Internationale Jacques
Brel, Bruxelles, 2003.
-
Jacques
Vassal "Jacques Brel – Vivre debout", éditions Hors Collection, Paris,
2003.
-
Jean-Michel Boris, Jean-François Brieu, Érice Didi "Olympia 1954-2004
: 50 ans de Music-hall", éditions Hors Collection, Paris, 2003.
-
"Chorus
– les Cahiers de la chanson", n° 20 et 25.
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