Je me souviens de Lio
Article inédit écrit en 2006
Un journaliste bien éduqué n'est pas supposé se mettre en avant ni parler de lui à la première personne. Pardonnez-moi d'enfreindre la règle et de la justifier par trois arguments définitifs : d'abord depuis quand je serais journaliste bien éduqué ? ensuite j'adore parler de moi, enfin j'aime bien les exercices à la Georges Perec, celui qui a écrit "Je me souviens" alors je vais faire pareil, et je vais vous lire un petit condensé de mes souvenirs de Lio, et y'en a un paquet.

Je me souviens que je croisais déjà Lio depuis un bon moment dans des boîtes de nuit bruxelloises et que nous fréquentions la même horde de punks, avec le Vlak, le Crom et toute la bande.

Je me souviens que quand Vanda - future Lio - dansait en boîte, il se formait autour d'elle une meute de loups de Tex Avery, énervés, la langue pendante et le regard lubrique, et que j'étais pas le dernier, je suppose.

Je me souviens que je côtoyais également celui qui plus tard se fera appeler Jacques Duvall, parolier de tous ses tubes, parolier des meilleures chansons d'Alain Chamfort depuis plus de vingt ans, parolier de génie tout court, l'un des plus grand paroliers de tous les temps et c'est le biographe de Gainsbourg qui vous cause.

Je me souviens que "Le Banana Split" avait plus d'un point commun avec les "Sucettes" de Gainsbourg, chantées par France Gall mais que Lio, moins cruche que France, c'est rien de le dire, savait parfaitement de quoi elle parlait.

Je me souviens qu'à la rentrée 1979, j'ai été le premier à interviewer Lio pour la presse "sérieuse", en l'occurrence pour Le Soir.

Je me souviens qu'il faisait splendide, ce jour-là à Bruxelles et que Lio, trop maquillée pour son âge, portait une robe imitée du New Look de Dior et des escarpins sixties. Détail amusant : c'est à la sortie de son lycée que j'ai cueilli Lio pour cette interview ; c'est d’ailleurs la seule fois de ma carrière que j'ai été chercher une star à la fin des cours !

Je me souviens qu'à cette date Lio avait 17 ans et 4 mois, et qu'elle était très fière d'avoir vendu 3.000 exemplaires de son premier 45 tours en Belgique.

Je me souviens que quelques jours plus tard, un soir, après être sorti en boîte, je l'ai raccompagnée chez sa maman et qu'on a causé dans ma petite voiture de sport pourrie jusqu'à pas d'heure. Je me souviens que j'ai failli lui prendre la main, failli l'embrasser - et puis elle pareil, je crois - et puis rien du tout, et c'est très bien comme ça: il est de grandes histoire d'amour qui ont duré le temps d'une conversation.

Je me souviens que j'ai toujours trouvé Lio profondément subversive. Après son hymne à la banane, elle chanta que l'amour n'est qu'un mensonge dans "Amoureux solitaires" et sur son 1er album, "Suite sixtine" racontait les amours d'une petite catin et d'un prélat de l'église.

Je me souviens que j'ai toujours trouvé Lio profondément émouvante, naïve, romantique, amoureuse, paumée, en un mot parfaitement craquante.

Je me souviens qu'en 1989, lorsque j'ai épousé Annie, qu'elle est devenue madame Verlant, Lio a enregistré spécialement pour nous une version renversante de "Chapel Of Love" des Dixie Cups, avec Marc Moulin.

Je me souviens que Lio est complètement folle, frappadingue, allumée, zot, comme on dit à Paris, mais que c'est pour ça qu'on l'aime.

Je me souviens qu'on a écrit un livre ensemble, même que ça s'appelle Pop Model et que c'est sorti chez Flammarion et que ça raconte l'histoire de Lio, telle qu'elle me l'a racontée.

Je me souviens des séances de travail pour ce livre, je me souviens que durant ces interviews on s'est tapé des crises de fou-rire quand elle m'a raconté comment dès le début de sa carrière elle ne s'est jamais laissée faire - un réalisateur belge de renom, qui lui fit faire sa première télé, en fit les frais lorsqu'il eut l'idée saugrenue de demander à un marionnettiste de venir faire danser une poule pendant les nanananana de Banana Split - je vous dis pas comme elle lui a pourri la vie.

Je me souviens qu'on a beaucoup pleuré durant les interviews pour ce livre, en particulier quand Vanda m'a parlé de son grand-père, ou quand elle m'a raconté les épisodes injustes, tragiques et violents qu'elle a traversés avec des hommes qui ne la méritaient pas.

Je me souviens que Lio a connu plus de galères que de moments de bonheur mais je me souviens surtout que Lio a donné naissance à une tripotée d'enfants superbes.

Je me souviens que Lio mérite d'être aimée et que souvent elle a été aimée mal, ou mal aimée, ou aimée pour les mauvaises raisons. Ce soir, je sais qu’elle est aimée comme il faut, je sais que vous l’aimez et que je l’aime !

Gilles Verlant

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