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Fin
1995, j'ai publié un album, bourré de photos, sur Daniel Balavoine. Je
ne l'ai jamais rencontré, juste croisé sur un plateau de télévision.
Mais il s'agissait d'un travail de commande d'un genre particulier :
Corinne, alias L'Aziza, que je connaissais depuis quelques années, avait
apprécié mon travail sur Gainsbourg ; elle souhaitait qu'un beau livre
existe sur Daniel pour leurs deux enfants, âgés à l'époque d'une dizaine
d'années. Depuis, l'album étant introuvable, le livre est ressorti au
format bouquin (un joli format, d'ailleurs, qui
rappelle les éditions Actes Sud).
À cette époque déjà on me demandait de témoigner à propos de Balavoine ;
pour Gala, j'ai écrit cet article. Il m'arrive encore souvent de
répondre à des questions sur le gaillard ; je me sens à la fois
illégitime (après tout, comme je disais, je ne lui ai jamais parlé) et
en droit d'en causer, vu que j'appréciais ses disques et sa voix, en
particulier l'album "Loin des yeux de l'Occident", sous influence Peter
Gabriel.
Bref : lisez si ça vous amuse, en vous rappelant pour qui c'était
écrit...
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- Lorsque France Gall évoque
l'amitié qui liait Michel Berger et Daniel Balavoine, on la sent émue,
évidemment, mais surtout, elle rit à chaque instant. Parce que leur
complicité était une chose joyeuse, rythmée par les fous-rires. Tout
avait commencé en 77, alors que Michel travaillait sur l'opéra rock "Starmania"
avec Luc Plamondon. Ils cherchaient un chanteur capable d'incarner l'un
des deux personnages principaux, celui du loubard, nommé Johnny Rockfort.
"Je me souviens très bien de la première fois qu'on a vu Daniel à la
télé" raconte France Gall "Je vois encore le poste posé par terre, dans
la chambre. Il chantait "Lady Marlène" avec cette force et cette
fragilité extraordinaires. Michel et moi on s'est regardé : "Qu'est-ce
qu'il chante bien, ce mec !" Luc Plamondon : "Aussitôt Michel m’a appelé
pour me dire : "Je pense que j'ai trouvé notre Johnny Rockfort ! Je
viens de voir un chanteur avec une voix fabuleuse." Alors on a rencontré
Daniel. Il a chanté "Quand on arrive en ville" et on a senti ce lyrisme
qu'il apportait au rock, qui était très émouvant." Linda Lecomte était à
l'époque la compagne de Balavoine et elle se souvient que celui-ci était
sceptique : "Daniel connaissait mal Michel Berger, il pensait que
c’était un petit bourgeois égaré dans la chanson. Il avait du respect
pour lui mais ça n’était pas sa tasse de thé. Michel était loin de son
tempérament rock. Tout le monde lui disait "Michel Berger est un génie
!" Il répondait : "Faut voir !" Daniel était comme Saint Thomas. Il
fallait qu’il se rende compte par lui-même ! Dès la première rencontre,
il a été très impressionné. Ça a été un coup de foudre mutuel. Michel
savait se faire aimer. Daniel s’est vite rendu compte que, même si
Michel venait d’un milieu aisé, son cœur était ailleurs. Par la suite,
Daniel aurait cassé la gueule au premier qui aurait dit un mot contre
Michel !" France Gall : "Michel est revenu avec la banane de son premier
rendez-vous avec Daniel : il l'a fait rigoler tout de suite. Il m'a dit
"Il est marrant, c'est une drôle de personne. Un peu tout fou mais très
sympa." Quant à moi, je l'ai tout de suite adoré parce qu'on ne peut
qu'aimer les gens qui vous font rire. J'ai bien connu Coluche et pas mal
de gens très drôles, mais Daniel était de très loin celui qui me faisait
le plus rire !"
Ils auraient rêvé être et l'un et l'autre !
Et c'est ainsi qu'au printemps 78 sortent simultanément deux disques
essentiels : la version originale de "Starmania", avec Balavoine, Diane
Dufresne, France Gall, et Fabienne Thibeault, et le nouvel album de
Daniel, le disque de la dernière chance... En effet, ses deux premiers
33 tours n'ont obtenu que des ventes confidentielles et son producteur
Léo Missir n'a plus le droit à l'erreur. Heureusement, sur ce nouvel
album on trouve une chanson épatante, bourrée d'humour : "Le Chanteur".
Vous savez bien, celle qui commence comme ça : "J’me présente je
m’appelle Henri / J’voudrais bien réussir ma vie / Etre aimé..." Un
million d'exemplaires en moins de six mois ! Léo Missir est également un
témoin privilégié : "L'amitié entre Daniel et Michel Berger a été très
forte et incompréhensible en même temps. C'étaient deux personnages
totalement différents. Berger y croyait dur comme fer, il avait voulu
Daniel pour Starmania alors que tout le monde était contre. Prendre une
voix comme ça pour jouer un rôle de voyou ! Ils étaient complémentaires
: Daniel admirait le côté musicien de Michel Berger. Et Michel a été
très impressionné par le charisme de Balavoine. Ils auraient rêvé être
et l'un et l'autre !" France Gall se souvient que Daniel était très
impressionné par Michel : "Il était très admiratif de son intelligence
et de sa manière de s'exprimer. C'est artistiquement que Michel a
apporté à Daniel. Daniel, lui, a apporté complètement autre chose à
Michel. C'est sur le plan humain qu'il l'a changé. C'était beau !
Michel, qui était quelqu'un de beaucoup plus fragile, de plus petit, se
sentait extrêmement protégé physiquement par Daniel. C'était un grand
frère. Daniel était très enthousiaste et Michel ne l'était pas, ce qui
fait qu'il était tout le temps bousculé par Daniel, mais avec une
extrême douceur. Et il se laissait faire! Daniel, c'était celui qui
osait. Michel osait artistiquement mais, dans la vie, il ne se
mélangeait pas du tout aux gens. Il n'était pas sociable. Par exemple
Daniel l'emmenait draguer ! Ca m'amusait moyennement... Mais, vous
savez, je ne suis qu'une pièce rapportée dans cette grande histoire
d'amitié!" Sur France-Inter, en 1983, un journaliste demande à Berger de
faire un portrait de son pote : "La raison pour laquelle il y a plein de
gens qui ne peuvent pas le supporter, c’est qu’il sait ce qu’il veut. Il
sait ce qu’il veut faire dans ses disques, dire dans ses chansons,
comment il a envie de faire de la scène. Ça paraît très très simple mais
c’est plus difficile qu’on ne pense (...) Je crois qu’il réussit à
imposer ce qu’il a vraiment envie de faire et ça c’est une nouvelle race
de chanteurs ! Ça vient de sortir comme dirait Coluche. Evidemment ça
veut dire aussi beaucoup d’angoisse parce que quand quelqu’un a envie
d’écrire quelque chose de fort plutôt que de devenir riche ou alors
qu’il aime mieux faire un beau spectacle que d’être simplement connu,
c’est une autre manière de vivre. Moi, c’est ce qui me plaît dans
Balavoine. A part ça, c’est mon copain mais ça n’a absolument rien à
voir." Daniel, lui, ne rate jamais une occasion de dire son admiration :
"C'est au moment où Michel Berger a fait chanter Véronique Sanson dans
une sonorité vraiment nouvelle, élaborée, intéressante, qu'il a été le
premier à réellement assimiler les influences anglo-saxonnes et,
surtout, le premier à faire que cela ne s'entende pas. Il a décomplexé
ainsi pas mal d'artistes français. Je lui dois la fierté de ne plus me
sentir écrasé par la musique anglo-saxonne !"
Pari du Coeur
Après "Starmania" il y eut des émissions de télé et d'autres disques.
Ils avaient même projeté d'enregistrer un album à deux : malheureusement
leurs emplois du temps les en empéchèrent... En revanche, en 1985, ils
se rendirent à Londres, lors du grand concert "Live Aid" pour
l'Ethiopie. Une petite délégation française, perdue dans le public : "La
France était pratiquement le seul pays qui n'était pas représenté"
raconte France Gall "Ça nous avait filé un coup terrible, nous étions
extrêmement bouleversés." De retour à Paris, ils s'investissent à fond,
tous les trois, dans l'opération "Action Ecoles" qui s'adresse non pas
aux adultes, mais aux enfants, parce que la solidarité ça s'apprend tout
petit ! Mais Daniel va plus loin encore : lui qui a déjà couru le
"Paris-Dakar" à deux reprises décide de suivre l'édition 86 du rallye
pour des raisons humanitaires - il coordonne l'opération "Pari du Coeur"
qui consiste à installer des pompes à eau pour venir en aide aux
populations victimes de la sécheresse.
Le 14 janvier 1986, à la demi-étape de Gao, au Mali, on s'inquiète des
conditions météo, qui sont détestables. Le matin, un mauvais vent de
sable s'est levé. Thierry Sabine, l'organisateur de la course, fait le
point avec le journaliste Jean-Luc Roy avant de remonter à bord de son
hélicoptère. Sur ces entrefaites arrive Daniel Balavoine, à qui Thierry
a promis un baptème en hélico. Daniel n'est pas très chaud, lui qui a
toujours eu très peur de prendre l'avion... Il demande à Jean-Luc "Tu es
sûr que tu me laisses ta place ?" avant de grimper à bord de l'Ecureuil,
aux côtés de Nataly Odent, journaliste, Jean-Paul Le Fur, radio, et
François-Xavier Bagnoux, un pilote expérimenté. Un peu plus tard,
l'hélico est obligé de se poser, la visibilité étant épouvantable.
Thierry Sabine demande qu'on leur envoie des secours. Puis, pour une
raison inexplicable l'hélico redécolle. Quelques minutes plus tard, il
percute une dune de sable. Il n'y a aucune survivant. Daniel Balavoine
aurait eu trente-quatre ans le 5 février 1986.
En août de la même année, Michel Berger et France Gall se rendent au
Mali pour constater le résultat du travail de Daniel : "Des touaregs
nous ont longuement parlé de lui, à Tombouctou. Michel ne s'est jamais
consolé de la mort de Daniel. C'était vraiment touchant de voir cette
peine. Il ne s'en est jamais remis ! Ça a été un manque, un vide immense
dans sa vie. Il avait perdu son ami... En fait, Daniel était quelqu'un
qui était toujours "plus" que les autres. Quand il était en colère, il
était plus en colère ! Quand il riait, il riait plus fort que les autres
! Il faisait tout de manière exagérée. Et quand il aimait, il aimait
plus !"
Gilles Verlant
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