Les tueurs de la Lune de Miel
Un texte que j'ai écrit en 2003 pour le groupe belges les Tueurs de la Lune de Miel qui se retrouve aussi sur le site du label Crammed Discs
La qualité principale des Tueurs de la Lune de Miel – et le défaut qui les immola prématurément sur l'autel de la pop eighties – était qu'ils voyaient tout en double. Drame récurrent chez les Belges en général, les artistes en particulier, ils étaient furieusement schizophrènes : leur nom, déjà – en v.o. ou en v.f. ? The Honeymoon Killers, comme le film serial-killer de Leonard Kastle, 1970, avec Shirley Stoler et Tony Lo Bianco ? Ou alors les Tueurs de la Lune de Miel, avec l'amusante dualité entre les termes menaçants (Tueurs) et rassurants (Lune de Miel, faut tout vous expliquer) ? On peut pas choisir, alors on mettra les deux, et le public se démerdera. Et puis d'abord, c'est qui le chef, en tout cas, celui qu'on prend en photo pour la presse ? C'est Yvon Vromman, qui est tout vilain et mal rasé avec son gros nez mais qui est rigolo à mourir (de fait, il en meurt, trop tôt), avec son côté boule de nerfs, le genre de psychopathe prêt à vous péter dans les pattes au moindre pet de travers ? Ou alors l'évanescente Véronique Vincent, ex-mannequin et journaliste, dont il est dit sur la pochette du 33 tours d'origine qu'elle est "habillée par Anne Frère" (copinage, certes, mais le rock n'était pas encore fashion, à l'époque) ? En 1982, le New Musical Express ne se pose pas la question : c'est la fille qui fait la couve. On voit d'ici la tronche d'Yvon, pas jouasse - après tout, c'était son groupe, à l'origine. À terme, la rivalité va les miner, au point de les faire imploser en vol. Mais la schizophrénie ne s'arrêtait pas là : clairement, deux directions musicales tiraillaient le combo. L'énergie héritée du punk et de la new wave d'un côté, la réelle compétence musicale (visionnaire, oserait-on affirmer) de certains de ses membres de l'autre. Ce qui les unissait : l'envie de rire, d'expérimenter, de se jouer des références, en se moquant éperdument de ce qui était "in" ou "out" (du coup, leurs chansons n'ont pas vieilli, ce que l'on ne dit pas souvent d'un disque enregistré en 1981 ; et que dire des "Subtitled Remix" de 1983 qu'on dirait enregistrés avant-hier ?). Hey les gars, et si on faisait des reprises destroy de "Laisse tomber les filles", de France Gall, et de "L'Heure de la sortie" de Sheila ? Ouais, chouette idée. Mais pas question de se moquer du "Nationale 7" de Charles Trenet : c'est sacré. Moralité : leur version devint un tube radio en France et le mensuel Actuel, le magazine "nouveau et intéressant" des "jeunes gens modernes" leur consacra des papiers longs comme le bras, unique ilôt de lucidité, avec Berroyer dans "Le Matin", dans un océan d'incompréhension.

En réalité, les Tueurs de la Lune de Miel étaient un groupe du 21ème siècle malencontreusement tombé dans une faille spatio-temporelle. Aujourd'hui, tout ce qu'ils tentaient d'imposer avec leurs petits poings serrés (et leurs langues fermement vissées dans la joue) est devenu évident : la fantaisie, le second degré, les clins d'œil, le mélange électro-pop-world-jazz, et j'en passe. Il faut reformer les Tueurs. Yvon, fais pas le con, reviens, tout est pardonné !

Gilles Verlant
 
www.crammed.be
 
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