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La qualité
principale des Tueurs de la Lune de Miel – et le défaut qui les immola
prématurément sur l'autel de la pop eighties – était qu'ils voyaient
tout en double. Drame récurrent chez les Belges en général, les artistes
en particulier, ils étaient furieusement schizophrènes : leur nom, déjà
– en v.o. ou en v.f. ? The Honeymoon Killers, comme le film
serial-killer de Leonard Kastle, 1970, avec Shirley Stoler et Tony Lo
Bianco ? Ou alors les Tueurs de la Lune de Miel, avec l'amusante dualité
entre les termes menaçants (Tueurs) et rassurants (Lune de Miel, faut
tout vous expliquer) ? On peut pas choisir, alors on mettra les deux, et
le public se démerdera. Et puis d'abord, c'est qui le chef, en tout cas,
celui qu'on prend en photo pour la presse ? C'est Yvon Vromman, qui est
tout vilain et mal rasé avec son gros nez mais qui est rigolo à mourir
(de fait, il en meurt, trop tôt), avec son côté boule de nerfs, le genre
de psychopathe prêt à vous péter dans les pattes au moindre pet de
travers ? Ou alors l'évanescente Véronique Vincent, ex-mannequin et
journaliste, dont il est dit sur la pochette du 33 tours d'origine
qu'elle est "habillée par Anne Frère" (copinage, certes, mais le rock
n'était pas encore fashion, à l'époque) ? En 1982, le New Musical
Express ne se pose pas la question : c'est la fille qui fait la couve.
On voit d'ici la tronche d'Yvon, pas jouasse - après tout, c'était son
groupe, à l'origine. À terme, la rivalité va les miner, au point de les
faire imploser en vol. Mais la schizophrénie ne s'arrêtait pas là :
clairement, deux directions musicales tiraillaient le combo. L'énergie
héritée du punk et de la new wave d'un côté, la réelle compétence
musicale (visionnaire, oserait-on affirmer) de certains de ses membres
de l'autre. Ce qui les unissait : l'envie de rire, d'expérimenter, de se
jouer des références, en se moquant éperdument de ce qui était "in" ou
"out" (du coup, leurs chansons n'ont pas vieilli, ce que l'on ne dit pas
souvent d'un disque enregistré en 1981 ; et que dire des "Subtitled
Remix" de 1983 qu'on dirait enregistrés avant-hier ?). Hey les gars, et
si on faisait des reprises destroy de "Laisse tomber les filles", de
France Gall, et de "L'Heure de la sortie" de Sheila ? Ouais, chouette
idée. Mais pas question de se moquer du "Nationale 7" de Charles Trenet
: c'est sacré. Moralité : leur version devint un tube radio en France et
le mensuel Actuel, le magazine "nouveau et intéressant" des "jeunes gens
modernes" leur consacra des papiers longs comme le bras, unique ilôt de
lucidité, avec Berroyer dans "Le Matin", dans un océan
d'incompréhension.
En réalité, les Tueurs de la Lune de Miel étaient un groupe du 21ème
siècle malencontreusement tombé dans une faille spatio-temporelle.
Aujourd'hui, tout ce qu'ils tentaient d'imposer avec leurs petits poings
serrés (et leurs langues fermement vissées dans la joue) est devenu
évident : la fantaisie, le second degré, les clins d'œil, le mélange
électro-pop-world-jazz, et j'en passe. Il faut reformer les Tueurs.
Yvon, fais pas le con, reviens, tout est pardonné !
Gilles Verlant
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